Bernard Maris, toulousain, économiste iconoclaste de gauche qui a été tué à 68 ans dans l'attentat contre Charlie Hebdo, était un homme "tolérant et bienveillant", reconnu pour la qualité de sa pensée et son art de la vulgarisation. A Toulouse, sa disparition suscite beaucoup d'émotions.
Diplômé de l'Institut d'études politiques en 1968, agrégé de sciences économiques en 1994, Bernard Maris est devenu enseignant dans ses deux établissements toulousains, avant de devenir professeur à l'université Paris VIII. Il y avait récemment achevé sa carrière d'enseignant-chercheur. Mais ce chercheur reconnu, né le 23 septembre 1946 à Toulouse, était familier de beaucoup pour ses multiples interventions à la radio et à la télévision - reconnaissables notamment par son accent du Sud-ouest - et ses tribunes dans la presse.
Bernard Maris signait dans Charlie-Hebdo sous le pseudonyme de "Oncle Bernard". Il se trouvait dans les locaux du journal ce jour au moment de l'attentat. Il en était même actionnaire à hauteur de 11 %.
Dans un communiqué, l'université de Toulouse condamne "ce lâche attentat qui s’attaque aux valeurs fondamentales de la démocratie et en particulier à la liberté de pensée et d’expression." Et rend hommage à Bernard Maris qui fut étudiant et enseignant sur ses bancs.
EN VIDEO / la minute de silence à l'université Toulouse 1
De son côté, le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc a annoncé que le nom de Bernard Maris allait être intégré "dans la toponymie de la ville".
Un économiste iconoclaste
"C'était un homme tolérant, bienveillant, amical, bourré d'humour et surtout ne se prenant pas au sérieux", a raconté, manifestement ému, l'éditorialistedes Echos Dominique Seux, qui débattait avec lui chaque semaine sur France Inter. "Bernard Maris était un homme de coeur, de culture et d'une grande tolérance. Il va beaucoup nous manquer", a déclaré de son côté dans un communiqué Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, saluant celui qui a été nommé en 2011 au conseil général de la banque centrale.
Actionnaire de Charlie Hebdo depuis 1992, il rédigeait dans l'hebdomadaire satirique chaque semaine une chronique signée "Oncle Bernard", qui "faisait référence" selon Dominique Seux. Et illustrait ses talents de vulgarisateur jusqu'à devenir tellement inclassable qu'il était souvent présenté comme un "journaliste-économiste".
Il a d'ailleurs écrit de nombreux ouvrages aux titres évocateurs parmi lesquels "Ah que la guerre économique est jolie !" en 1998 ou "Marx, oh Marx, pourquoi m'as-tu abandonné?" en 2010. Mais ce sont ses "Anti-manuels d'économie" sortis au début des années 2000, et dont le premier tome est consacré aux fourmis et le second aux cigales, qui ont connu le plus de succès.
Un vulgarisateur hors pair
"C'est tellement emmerdant l'éco ! Faut reconnaître que c'est plus agréable de lire de la poésie... Et en même temps, ça nous concerne tous. Alors, mon vrai plaisir - en dehors de la petite satisfaction personnelle et égocentrique de voir ma trombine dans les médias - est de me faire apostropher par un auditeur ou un télespectateur me disant : "Avec vous, on comprend !", avait-il ironisé dans un entretien avec Telerama en 2008.L'économiste a longtemps défendu les thèses de la décroissance, prônant les valeurs de l'économie collaborative et participative et fustigeant les ravages de la société de consommation. "Je ne me réveillerai plus jamais avec Bernard Maris le vendredi matin....Infinie tristesse, encore. #finter#CharlieHebdo", tweete une auditrice, au milieu d'une déferlante d'hommages sur le réseau social. "Chez moi il y a des Cahiers Pédagogiques, des Charlie Hebdo et l'antimanuel d'économie de Bernard Maris #JeSuisCharlie vraiment...", renchérit une autre, rappelant l'engagement profondément ancré à gauche de cette personnalité atypique.
Un anti-libéral à la Banque de France
"On peut dire de lui qu'il était anti-libéral, de gauche..., anarcho-keynesien", décrit Dominique Seux, insistant sur le fait qu'il représentait "la pensée économique de nombre de Français". Membre du conseil scientifique d'Attac et candidat des Verts aux législatives de 2002, Bernard Maris était aussi un universitaire reconnu.En 2011, le président du Sénat Jean-Pierre Bel avait créé la surprise en le choisissant pour intégrer le conseil général de la Banque de France. Récemment, Bernard Maris s'était attiré les foudres, y compris à gauche, après avoir pris position pour la disparition de l'euro. Toujours sur plusieurs fronts, il avait publié en 2014 "Houellebecq économiste" (Flammarion). Il voyait en effet dans les romans de l'écrivain provocateur une analyse lucide des rapports économiques, du monde du travail et de la désindustrialisation.
Bernard Maris, père de deux enfants, défendait enfin la mémoire de l'écrivain Maurice Genevoix, grand témoin de la guerre de 14-18, dont il avait épousé la fille, Sylvie Genevoix.