Le philosophe et théologien a passé les dernières années de sa vie à Toulouse (Haute-Garonne) chez les Petits Frères de Jésus. C’est là qu’il a écrit cet essai pour jeter les bases d’une utopie sociale à méditer.
Jacques Maritain a fait le tour du monde comme diplomate et a correspondu avec les plus grands écrivains et philosophes français tels Claudel, Bernanos, Peguy, Bergson ou Bloy. Mais en 1961, le décès de sa femme le pousse à rejoindre et intégrer une congrégation religieuse en accord avec ce qu’il a toujours été : un chrétien social.
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Là, au calme, mais à hauteur d’homme et de société, il va pouvoir travailler à une question qu’il a toujours considérée comme cruciale pour notre société : peut-on vivre sans argent ?
Dans le pays dont je rêve, il n’y aurait aucun étalon or ou dollar ; l’État fabriquerait à l’usage de citoyens une quantité indéfinie, sans aucune limite assignable et aussi vaste qu’il faudrait, de jetons qui remplaceraient l’argent
Les jetons évoqués ne sont pas sans rappeler les monnaies locales actuellement remises au goût du jour par plusieurs territoires, sans réels succès ou engouement. Dès les premières lignes, Maritain évoque aussi un revenu universel qu’un certain candidat à la présidentielle a brandi il n’y a pas si longtemps.
Faire ce que l’on veut la moitié de la journée
À noter que ce revenu sera versé sans condition, si ce n’est de travailler minimum à mi-temps dans un emploi que l’on aurait choisi. Le tout serait géré par des « syndicats » terme générique selon l’auteur, mais premier qui lui soit venu à l’esprit pour définir l’autorité de régulation. Et quant à l’autre moitié de la journée ? « Ils (NDR : travailleurs) feraient ce qu’ils voudraient sans qu’aucun contrôle à leur égard soit exercé ».
Y compris si certains souhaitent fonder des entreprises sur ce temps libre. Y compris si ces structures sont frauduleuses alors que l’état a financé leur création. Mais selon le théologien, mieux vaut que l’état jette à l’eau des millions de jetons, plutôt que de devenir « totalitaire ».
L’argent n’est pas fécond
Quand les marxistes veulent « changer l’homme », pour Maritain, c’est à l’église de le faire. « Le monde et son histoire sont absolument incapables de changer quoi que ce soit à la nature humaine ». L’auteur défend donc forcément sa paroisse mais prône une collaboration « entre chrétiens non-chrétiens ».
Maritain n’a pas la prétention de tuer le capitalisme, meilleur socialement que le communisme selon lui, mais de le transformer. « Pas de prêt à intérêt dans notre nouvelle société ! » tonne-t-il. Il le qualifie de « système contraire à la nature » qui « ne se peut qu’en exploitant le travail d’autrui ». Et le théologien de reconnaître que si l’Église a aussi banni ce prêt par la voix de plusieurs de ses Papes, certains de ses membres n’y voyant que leurs intérêts personnels ont su en profiter.
La fin de l’impôt
Si la France choisit de ne plus utiliser d’argent, l’ancien diplomate a bien conscience que ses voisins ne feront pas forcément de même. Il explique donc que pour les importations ou encore les voyages à l’étranger de ses ressortissants, l’État aura toujours une réserve monétaire. Réserve entre autres constituée par les riches qui pour rester vivre dans le pays devront lui faire don intégralement de leur fortune.
Enfin quant à la question d’actualité brûlante de la fiscalité, le philosophe a son idée sur la question : « il va de soi, qu’en même temps que l’argent, tout impôt à verser à l’État disparaîtrait dans notre nouveau régime ».
« Une société sans argent » Jacques Maritain, Éditions Allia