Un lieu "utilisé à plein régime", où sont enfermées des familles avec enfants, des enfants séparés de leurs parents, lieu de violence, de suicide, annexe de l'hôpital psychiatrique : le rapport publié ce mardi par la Cimade décrit une situation effroyable au centre de rétention de Toulouse
Le rapport annuel 2019 des associations habilitées à intervenir dans les Centres de rétention administratifs (CRA), ces prisons qui ne disent pas leur nom, où sont enfermés les étrangers sans papier, est particulièrement édifiant, notamment concernant celui de Toulouse.1302 personnes y ont été enfermées en 2018, à Cornebarrieu, en bout de piste de l'aéroport de Blagnac.
La Cimade décrit d'abord un centre "systématiquement plein", "dans un très mauvais état de propreté", où les personnes arrivent de toute la France et sont "éloignées de leurs proches et de leurs familles mais également de leurs soutiens locaux et avocats".
Les étrangers sans papier enfermés à Cornebarrieu ont souvent été victimes de "contrôles ciblés" et d'"interpellations déloyales". Comme dans les gares routière et ferroviaire de Toulouse où les interpellations "sont quotidiennes". Comme également "aux abords d'associations d'accès aux soins ou même de la Croix-Rouge". Une femme qui venait déposer plainte pour violence conjugale ou encore des enfants mineurs venant demander une prise en charge ont également été enfermés en rétention, détaille la Cimade.
Des familles avec enfants sont enfermées à Cornebarrieu
10 familles dont 13 enfants ont été enfermées en 2018 dans ce centre de rétention. Et pour les 5 premiers mois de 2019, elles sont 15 familles avec 30 enfants à avoir connu le même sort. Des enfants qui connaissent "la brutalité de l'arrestation, la violence de l'enfermement, les multiples passages devant les juridictions, les transferts interminables où leurs parents sont menottés, les uniformes, l'expulsion forcée..."Ainsi, Alexandro, âgé de 12 ans, a été arrêté à 6 heures du matin avec toute sa famille la veille de la rentrée au collège, au Puy-en-Velay. transféré avec toute sa famille au CRA de Cornebarrieu, ils n'ont rien eu à manger entre 6 heures du matin et 15 heures.
Ainsi, Jimmy, un bébé de 8 mois dont la maman a dû attendre 4 heures, de 16 heures à 20 heures, avant que la police l'autorise à faire chauffer un biberon.
Des enfants séparés de leurs parents
Selon le rapport, plusieurs familles ont été séparées de leurs enfants au mépris total du respect du droit. Au mois de mai 2018, un homme a par exemple été expulsé au Maroc alors que son fils de 2 ans était gardé par une voisine et son épouse hospitalisée pour une grossesse difficile.« Nous avons vécu l’enfer", témoigne une famille dont l'expulsion a été ordonnée par la préfecture des Pyrénées Orientales. "C’était horrible. Mon mari ne voulait pas se résigner et il a tout fait pour éviter notre arrestation, mais une dizaine de personnes étaient couchées sur lui. Ne le laissant pas bouger, même pas respirer. Maintenant il a mal partout. On criait, pleurait. Je les suppliais de le laisser. Mais ces gens sont comme du béton. Ils nous ont traités comme des criminels. Ils lui ont enlevé les menottes que dans l’avion. Le trajet a duré 12 heures. C’était un petit avion de la police et même les pilotes étaient des policiers. J’ai beaucoup de souffrance en moi. Ma fille est très choquée et traumatisée aussi. Elle a laissé toute sa vie, ses études, ses amis, sa chambre bien aimée, ses doudous. Depuis, elle n’a pas le sourire. Hier soir, elle m’a dit que c’était comme un film d’horreur. Elle est aussi très triste pour notre chat resté dehors ».
Le centre de rétention de Cornebarrieu "annexe de l'hôpital psychiatrique"
Le rapport dénonce un isolement "utilisé comme mode de gestion des troubles ou maladies psychologiques". Car rien n'est prévu au CRA pour prendre en charge les personnes en grande détresse psychologique. Elles sont généralement brisées par un parcours migratoire très éprouvant, parfois toxicomanes.Les automutilations se multiplient. Fin septembre, un homme a mis fin à ses jours par pendaison après avoir été placé en isolement disciplinaire. La grande promiscuité, conjuguée à l'enfermement de personnes en grande précarité ou affectées de troubles psychologiques aboutissent à des tensions très fortes et à des violences au sein du centre de Cornebarrieu.
"En 2018, souligne la Cimade, pour au moins 15 personnes l'isolement disciplinaire y a été utilisé comme moyen de gestion des troubles psychologiques et pour surveiller des personnes qui voulaient mettre fin à leurs jours, sans qu’aucune prise en charge médicale adaptée à leur état de vulnérabilité ne soit assurée". "L’utilisation de l’isolement disciplinaire pour des personnes en crise et en souffrance psychiatrique est récurrente au CRA de Cornebarrieu depuis plusieurs années" déplore l'association.
Des personnes françaises enfermées au centre de rétention !
Attention enfin si vous avez "un faciès d'étranger". Bien que français...vous pourriez un jour ou l'autre vous retrouver enfermé à Cornebarrieu. Selon le rapport, en 2018, 4 personnes françaises ont été placées en détention au CRA, dont une jeune lycéenne toulousaine en fugue privée de liberté pendant deux jours. "A chaque fois, les personnes ont été libérées après plusieurs jours de rétention, mais par les tribunaux et non par la préfecture à l’origine de l’enfermement", explique encore le rapport.La Cimade redoute une aggravation de la situation en 2019
"La France demeure le pays européen qui a le plus recours à l'enfermement des personnes étrangères en vue de les éloigner", déplorent les associations qui interviennent dans les CRA.Le gouvernement a décidé l'an dernier "d'accroître très fortement la capacité de ces lieux de privation de liberté" avec 480 places supplémentaires en métropole (portées à 1.549). Un tel développement "n'avait plus été constaté depuis plus d'une décennie", assurent les associations (Assfam-Groupe SOS, ForumRéfugiés-Cosi, France Terre d'Asile, Cimade, Ordre de Malte, Solidarité Mayotte).
De plus, calculent-elles, "les préfets ont reçu pour instruction de remplir davantage les CRA", et "cet usage intensif de la rétention s'est encore accentué au second semestre et a généré des conséquences graves pour les personnes enfermées".
A Cornebarrieu, la durée moyenne de rétention a sensiblement augmenté l'an dernier à 20 jours.
La Cimade redoute une aggravation de cette tendance en 2019 avec l'entrée en vigueur, le 1er janvier, de la loi asile-immigration, qui a doublé de 45 à 90 jours la durée maximale de la rétention.
"Avant, au moins il y avait un tri, s'indigne Léo Claus, juriste à la Cimade, qui intervient quotidiennement au centre de rétention de Cornebarrieu. Maintenant, tout le monde, absolument tout le monde, du nourrisson, au vieillard en passant par le malade est enfermé ici". "On est arrivé à quelquechose d'effroyable", témoigne-t-il.