Parodie de justice au centre de rétention de Toulouse, où des étrangers sont jugés par visioconférence

Les audiences par visioconférence se multiplient au centre de rétention administratif de Cornebarrieu, en bout de piste de l'aéroport de Toulouse-Blagnac. L’Observatoire de l’enfermement des étrangers dénonce une "pratique illégale" constituant une "violation grave des droits".  

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"Vite fait, bien fait"...les audiences en visioconférence se multiplient en bout de piste de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, au centre de rétention administrative (CRA) de Cornebarrieu, dans un lieu de privation de liberté, en dehors de toute publicité des débats.

Selon le Syndicat des Avocats de France, quatre audiences de ce type s'y étaient déjà tenues entre le 4 décembre 2017 et le 16 janvier 2018. Selon une autre source, une audience par visioconférence avait également eu lieu courant deuxième semestre 2018.

Il faut désormais, selon L’Observatoire de l’enfermement des étrangers (1)  y ajouter  l'audience du 26 janvier 2019, lors de laquelle une personne a de nouveau été jugée par visioconférence "en toute illégalité".

Une audience en visioconférence avec un prévenu au centre de rétention de Cornebarrieu et des juges à Bastia

Cette audience a eu lieu à la demande de la cour d’appel de Bastia.

Le détenteur d’un titre de séjour de longue durée en Italie où se trouve toute sa famille,  enfermé au CRA de Toulouse,  a été jugé par visioconférence depuis son lieu de rétention...par des magistrats de la Cour d’appel siégeant à Bastia.

Ce ressortissant marocain s’était rendu en Corse pour un emploi déclaré, ignorant qu’il était en porte-à-faux par rapport à la législation française qui ne permet pas aux étrangers de travailler avec un titre de séjour délivré dans un autre État membre de l’Union européenne.

Interpellé par la police, il a été placé le 23 janvier au local de rétention administrative d’Ajaccio sur décision du préfet de Haute-Corse, en vue d’un renvoi en Italie.

Son maintien en rétention ayant été autorisé par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d’Ajaccio, il a été transféré...via Paris... au centre de rétention administrative de Cornebarrieu, la loi ne permettant pas un maintien de longue durée dans un local de rétention.

Dès son interpellation le retenu avait pourtant indiqué qu’il souhaitait simplement récupérer ses affaires en Corse et qu’il était disposé à rentrer de lui-même en Italie. "C'est du grand n'importe quoi", observe Léo Clauss, juriste pour la Cimade au CRA de Cornebarrieu. "Cette personne en situation régulière a été retenu à Ajaccio, puis transféré par avion avec escorte à Paris, puis de nouveau de Paris à Toulouse, toujours avec une escorte à qui il a aussi fallu payer les billets d'avion retour ! Vous imaginez le coût !".

Au CRA de Toulouse, le ressortissant marocain a fait appel de la décision du juge des libertés et de la détention de le maintenir en rétention devant la cour d’appel de Bastia, qui est compétente. Cette dernière a alors organisé une audience par visioconférence entre la cour d'appel de bastia et le CRA de Cornebarrieu, dans un local géré par la police de l'air et des frontières, qui n’a aucunement le statut de lieu de justice.

Cette pratique avait déjà été dénoncée par des associations et des syndicats en janvier 2018.
 
Pour l'Observatoire de l'enfermement des étrangers, il s'agit d'une "violation grave des droits, laquelle s'inscrit dans un contexte d’expulsion à tout prix qui passe par un enfermement massif dans des centres de rétention administrative (CRA)".
 

Que dit la loi ?

La loi autorise les audiences par visioconférence. Mais le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) impose que chacune des deux salles d’audience (celle où se trouve le juge et celle où se trouve la personne retenue) soit ouverte au public. Ce n'est pas le cas dans un centre de rétention.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont explicitement exclu « l’aménagement spécial d’une salle d’audience dans l’enceinte d’un centre de rétention ». Aucune salle située dans un centre de rétention ne peut donc recevoir la qualification de salle d’audience. Aucune visioconférence ne peut légalement s’y tenir.
 

Une parodie de justice

"La politique d’enfermement et d’expulsion à tout prix conduit donc à une organisation de la justice hors-la-loi", explique l'Observatoire de l'enfermement des étrangers. "Les personnes étrangères visées font les frais de cette parodie de justice, en étant privées d’un procès équitable et de plusieurs garanties procédurales. L’accès à ces lieux est en effet très difficile pour les avocats – qui ne sont parfois pas même informés. Quant au public, il ne peut pas assister aux audiences – pourtant censées être publiques – puisqu’elles se tiennent dans l’enceinte du CRA. Dans ces conditions, l’impartialité de la justice n’est plus garantie", ajoute-t-il.

"Je ne sais pas si nous somme encore dans un Etat de droit", s'indigne pour sa part Léo Clauss. Il existe un arrêt de la Haute Cour (Cour de cassation) qui normalement est respecté par les magistrats. On ne rend pas la justice hors d'un lieu de justice. Et on assure la publicités des débats. La justice est rendue au nom du peuple français. Or le peuple français ne peut pas assister au déroulement d'une justice qu'on rend en son nom !".

Nous ne sommes pas parvenus à joindre le parquet général de Bastia pour connaître son avis sur la légalité des audiences par visioconférence.

Les associations membres de l'Observatoire de l'enfermement des étrangers condamnent pour leur part "fermement ces pratiques outrancières et parfaitement illégales". Elles demandent qu’il soit mis un terme sans délai aux audiences par visioconférence dans les centres de rétention.

(1) Sont membres de l'Observatoire de l'enfermement des étrangers ACAT-France, Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), Anafé, Comede, Emmaüs France, Fasti, Gisti, La Cimade, Ligue des droits de l’homme, MRAP, Revue Pratiques, Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat de la médecine générale (SMG) )
 
 
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