Les voyages vers Mars se préparent à Toulouse... Au fond du lit, à la clinique spatiale du CNES. Un petit boulot "pas trop mal payé" : 16.000 euros pour rester allongé 2 mois dans le cadre d'une étude de préparation à des voyages de longue durée dans l'espace.
Voyager vers Mars au fond d'un lit à Toulouse
Anthony, le blond, et Sébastien, le brun, arrivent, mi-décembre, au terme de leur voyage spatial vers la planète Mars... Deux mois à lutter contre les effets de l'impesanteur. En fait, un voyage immobile : depuis début septembre, les deux hommes n'ont pas quitté leur lit à la "clinique spatiale" du CNES à Toulouse.Ils participent à la deuxième phase d'une étude d'alitement. Un procédé qui simule la microgravité en vue de préparer des cosmonautes à des voyages de longues durée.
Seize équipes scientifiques venues du Canada, d'Allemagne, du Royaume-Uni, d'Italie et de France sont au chevet de 10 "cobayes" au Medes, l'Institut de médecine et de physiologie spatiales.
Anthony et Sébastien sont couchés selon un protocole qui simule les effets de l'espace sur l'organisme. Car si flotter dans l'habitacle d'un vaisseau peut sembler ludique, l'organisme humain encaisse assez mal ce traitement dans le temps. Et, du temps, il en faudra pour atteindre la planète rouge, l'objectif des futures missions spatiales.
détaille Marie-Pierre Bareille, la responsable de cette étude "d'alitement cocktail".Chute de la pression artérielle, hypotension orthostatique, atrophie des muscles, stockage anormal de graisse dans des endroits comme les muscles, le coeur, perte de densité osseuse,
Les astronautes vieillissent plus vite dans l'espace
Blouse blanche aux manches retroussées, petites lunettes à monture métallique, la pharmacienne explique que dans l'espace "on vieillit plus vite que sur Terre". "Mais c'est réversible", ajoute-t-elle. "L'objectif de l'étude +cocktail+ est de tester ce que l'on appelle une +contre mesure+, c'est-à-dire un moyen de prévenir les effets négatifs de l'impesanteur", ajoute-t-elle.Anthony et Sébastien font partie de la deuxième phase de cette étude (la première a eu lieu de janvier à avril): le CNES et l'Agence spatiale européenne (ESA) expérimentent sur ces cobayes un cocktail de compléments alimentaires à base d'antioxydants et d'anti-inflamatoires censés combattre les effets de la microgravité.
La biologiste du CNRS Audrey Bergouignan, qui appartient à l'une des 16 équipes internationales de cette étude, explique que s'intéresser à l'alimentation est une orientation relativement nouvelle pour la médecine spatiale. "Pendant 30 ou 40 ans, il n'y avait que l'exercice physique" pour se maintenir en forme. "Le problème c'est que si l'on fait de l'exercice physique on perd du poids, or les astronautes, dans l'espace perdent déjà du poids", dit-elle.
"Cobaye" au CNES, un petit boulot "pas trop mal payé"...
A la veille de se lever, après avoir passé deux mois couché, Sébastien, barbe de 3 jours et torse nu sur son lit incliné, affirme qu'il ne souffre pas trop de la sédentarité. Ni de la position tête en bas. Un procédé inventé par les cosmonautes russes pour reproduire sur Terre les effets de l'impesanteur. Ce technicien de laboratoire, âgé de 30 ans, dit qu'il a "souffert, au début, du dos". "Maintenant, je ne ressens pas de faiblesse particulière", indique le jeune homme, constatant cependant qu'il a perdu en masse musculaire. Sébastien raconte qu'il était "à la recherche d'un emploi" lorsqu'il est tombésur l'annonce du Medes. "Le défi scientifique m'a plu", et il va toucher 16.000 euros pour sa participation.
Anthony, manipulateur radio de 40 ans, est lui aussi intéressé par le défi scientifique. "C'est pour ça et peut-être aussi parce qu'on joue au tennis qu'on nous a mis ensemble avec Sébastien" dans la même chambre, dit-il.
Les deux cosmonautes virtuels affirment ne pas trop s'ennuyer alors qu'ils ne peuvent pas quitter leur lit, occupés notamment par les routines de l'étude.
Regarder l'espace pour mieux vivre sur terre
Audrey Bergouignan réalise une recherche sur les graisses "qui s'accumulent où elles ne devraient pas". Pour la biologiste, l'énorme intérêt de cette étude est d'avoir plusieurs "équipes qui travaillent simultanément sur les mêmes cobayes". "Nous, on travaille sur le métabolisme et l'on peut comparer nos résultats avec ceux de l'équipe qui travaillent sur le système cardiaque, sur le vieillissement osseux...".
La chercheuse souligne que si l'objectif affiché de cette recherche est de préparer les longs voyages spatiaux, il y aura également, à l'exploitation des résultats, des retombées plus terre-à-terre, notamment pour lutter "contre les effets de la sédentarité ou du vieillissement". Regarder l'espace pour mieux vivre sur Terre.