Abaisser les normes environnementales, réintroduire certains pesticides pour favoriser les rendements agricoles, le projet de loi Duplomb a été adopté par le Sénat. C'était une promesse des différents gouvernements depuis la forte mobilisation agricole de 2024. De quoi raviver les clivages entre écologistes et monde agricole.
La proposition de loi dite “Loi Duplomb”, du nom du sénateur qui en est rapporteur et premier signataire, est intitulée : "Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur". Elle a été adoptée lundi par les sénateurs après l'avoir été en décembre 2024 par la commission des affaires économiques.
L'attente des agriculteurs
Depuis 2016, la loi de reconquête de la biodiversité interdit l'utilisation de plusieurs herbicides ou pesticides contenant des substances néonicotinoïdes dites "tueuses d’abeilles".
Les produits interdits n'ont pas trouvé de successeurs tout aussi efficaces sans être nocifs pour l'environnement. Ce qui provoque une certaine colère du monde agricole, exprimée il y a un an lors de la mobilisation sur différentes problématiques. Des céréaliers ont en effet dû renoncer à certaines cultures.
Sur l’exploitation de Lionel Laborie située à Saint-Léon dans le Lauragais (Haute-Garonne), l’heure est à l’entretien des machines agricoles. Ce céréalier partage l’exaspération de pas mal de collègues contre l’interdiction de certains produits phytosanitaires. "J’ai arrêté le soja car je me faisais tout manger par les chenilles, les pois chiches aussi. Il faudrait au cas par cas réhomologuer certains insecticides plus efficaces. J’ai bien conscience que ça ne va pas forcément dans le sens que certains veulent mais aujourd’hui on se rend compte qu’on est tellement impacté par ces insectes qu’on prend le risque de rien produire."
Lionel Laborie n'est pas syndiqué, il ne fait donc pas partie de la FNSEA qui défend bec et ongles l'assouplissement des restrictions en vigueur concernant les pesticides.
Certes les phytos ce n'est pas génial mais ça peut, par certains côtés, assurer une sécurité alimentaire.
Lionel Laborie, agriculteur
Pour répondre à la colère des agriculteurs qui se sont fortement mobilisés, le Sénat a donc adopté lundi une proposition de loi visant à lever certaines contraintes liées à l’exercice de leur métier.
La proposition de loi du sénateur Duplomb
Cette proposition de loi est portée par un sénateur républicain de la Haute-Loire : Laurent Duplomb, agriculteur de profession. L’idée est de revenir sur certaines règles. "Nous arrivons enfin à ouvrir une nouvelle perspective, à mettre un coin dans cette porte qui fait que d’interdictions en interdictions, on est passé sur une façon différente de voir l’agriculture française."
Au Sénat, ce proche de Laurent Wauquiez, ancien président des Jeunes Agriculteurs de la Haute-Loire et membre de la FDSEA locale, est aussi rapporteur du budget dans le projet de loi de finance sur l'agriculture. Le 27 janvier 2025, le Sénat vote à son initiative une proposition de loi sur la réintroduction de deux néonicotinoïdes (l'acétamipride et le flupyradifurone), qui étaient interdits depuis 2018 en raison de leur forte nocivité pour les abeilles.
Réintroduction de certains pesticides, création de mégabassines facilitée, les sénateurs de gauche sont vent debout contre de telles mesures.
La gauche et les écologistes réagissent
Dans un article publié le 23 janvier et donc avant l'adoption, France Nature Environnement alertait sur les côtés néfastes de cette proposition. "La France est déjà le 2ᵉ plus gros consommateur de pesticides et le second pays qui autorise le plus de pesticides en Europe. La proposition de loi, qui reprend des demandes portées par la FNSEA, favoriserait leur utilisation alors même qu’ils présentent des risques avérés pour la santé humaine, sont identifiés comme une cause majeure de l’effondrement de la biodiversité et du déclin des oiseaux, de la pollution des eaux et sols".
17 millions de Français ont consommé au moins une fois de l’eau non conforme à la réglementation sur les pesticides en 2023.
France Nature Environnement
Chez les sénateurs, certains se sont insurgés lors des débats comme Jean-Claude Tissot, sénateur du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain de la Loire. "Sur les bancs de la droite, il n’a quasiment jamais été question de santé ou d’environnement. Je ne sais même pas si vous avez prononcé ces termes. Vous vous appuyez uniquement sur des arguments économiques pour être compétitifs."
👩🌾 Simplifier la vie des agriculteurs, oui!
— Sénatrices et sénateurs socialistes 🇪🇺 (@senateursPS) January 28, 2025
Menacer leur santé, celle des consommateurs et l'environnement, non!
Nous avons voté contre la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur
Un texte démagogique qui ne répond pas à leurs besoins pic.twitter.com/3dL7dL9kMc
Abaisser les contraintes réglementaires et environnementales en autorisant le retour partiel de l'utilisation de pesticides interroge également certains scientifiques. Dans un laboratoire de l’INRAE de Toulouse, on travaille sur les pesticides et plus précisément sur leurs conséquences sur la santé des animaux. En 2018, une de leurs études sur les souris a montré un lien entre pesticides et maladies métaboliques. "Au bout d’un an, on a vu que les mâles développaient un surpoids, un diabète et une stéatose hépatique, c’est-à-dire un foie gras, reconnaît Laurence Garnet Payrast, directrice de recherche à l'INRAE. Si lever la réglementation conduit à une augmentation de l’utilisation des pesticides, oui ça peut poser un problème de santé."
Le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte. Il est en cours d'examen à l’Assemblée nationale. Le face-à-face entre monde agricole et défenseurs de la santé et de l'environnement est un éternel recommencement.