Témoignages. Interdire la chasse le dimanche : la discorde persistante entre promeneurs et chasseurs

Publié le Écrit par Christine Ravier
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Les accidents de chasse mortels dans le Lot en 2020 et le Cantal en 2022 ont ému la population. Le gouvernement annoncera plusieurs mesures pour sécuriser la chasse le 9 janvier. La chasse sera-t-elle encore autorisée le dimanche ? De plus en plus de Français y sont défavorables. Réactions en Occitanie.

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"J'habite la campagne, j'aime aller me promener. Je marche pratiquement tous les jours sauf les mercredi et les week-end. Pourquoi ? Trop peur des chasseurs !". Magalie* habite en Ariège du côté de Mérens, elle a changé ses habitudes comme de nombreux randonneurs.

"Je vois des chasseurs autour de mon habitation, sur les hauteurs quand je suis dans mon jardin... J'ai toujours peur de prendre une balle ! poursuit-elle. Donc plus question d'aller se risquer en balade même sur des chemins ouverts. Quand vous prenez la voiture et que vous les voyez au bord de la route, vous n'êtes pas certains d'arriver à destination".

Baisse des accidents

L'OFB (Office français de la biodiversité) a beau observer une baisse générale des accidents depuis 20 ans, la peur est là. La médiatisation récente des morts de Morgan Keane, un jeune de 25 ans qui coupait du bois dans son jardin en décembre 2020 et d'une randonneuse de 25 ans tuée en février 2022 dans le Cantal, ont relancé le débat.

Depuis 2000, 3 325 accidents de chasse ont été recensés, provoquant la mort de 421 personnes, selon le bilan de l’Office français de la biodiversité datant de juillet 2020. Sur la période 2021-2022, l’OFB a recensé 90 accidents de chasse au total (blessures corporelles liées à l’utilisation d’une arme de chasse), dont 8 mortels. Parmi ces derniers, deux victimes étaient non-chasseurs.

78% pour l'interdiction le dimanche

Ces accidents de chasse ne passent plus. Ils sont qualifiés de "crimes de chasse" par les familles des victimes. Et la population en général, sature. Un sondage Ifop commandé par sept associations de protection de la nature le met en exergue : 70% des personnes interrogées disent ne pas se sentir en sécurité lors de leurs balades dans la nature en période de chasse. Ils n'étaient que 54% en 2009.

D'après la LPO (Ligue de protection des oiseaux), les personnes habitant en milieu rural sont les plus inquiètes : 74% contre 67% des gens vivant dans l’agglomération parisienne. Comme en 2016, l'étude révèle que 78% des Français sont favorables à ce que la chasse soit interdite le dimanche. Des pétitions circulent à ce sujet. L'Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages) demande ce jour sans chasse depuis 30 ans. Elle mentionne que la France est le dernier pays d'Europe qui en est dépourvu. 

Absence de dialogue

"J'habite dans une station thermale où il y a beaucoup de touristes, mais les jours de chasse, ils tournent en ville ou partent au Pas de la Case plutôt que de se promener dans la nature ici. Ils y sont plus en sécurité que sur les beaux chemins aménagés un peu partout, explique Alain Marek, représentant de l'Aspas en Occitanie. On a même une voie verte sur laquelle j'ai vu un chasseur posté. C'est pas plat, il y a des bosses. J'ai alerté le maire en lui disant qu'il fallait faire quelque chose. Il m'a répondu : "ah ! Je vais en parler"... On m'appelle tous les jours pour me signaler des cas comme celui-là".

"Il n'y a que des conflits, poursuit Alain Marek. Tout ça parce qu'on n'a pas de dialogue avec les chasseurs. Il faut leur expliquer que la nature ne leur appartient pas 365 jours par an. La nature appartient à tout le monde, surtout les bois communaux et les bois de l'ONF".

Des fusils de gros calibre à portée d'1,5 km

"En plus, chaque commune a son association de chasse. Vous vous retrouvez sur un massif où il y a quatre ou cinq associations et ils chassent le même jour à quatre ou cinq endroits différents. Vous ne pouvez pas savoir où ils sont, vous êtes toujours en danger. Il y a toujours quelqu'un quelque part en montagne avec des armes dangereuses. Le tir est mortel à 1,5 km et il y a des ricochets. Ils ont des gros calibres parce qu'ils chassent le gros gibier. Et ils n'ont pas peur de tirer. Ils ratent, ils recommencent. Les gens l'ont compris avec tous les accidents, ils ont peur de sortir". 

Jean-Luc Fernandez, président de la fédération de chasse de l'Ariège, que nous avons joint au téléphone, ne l'entend pas de cette oreille. Perdre une journée par semaine est pour lui inacceptable. "Les chasseurs ont le droit d'aller à la chasse le week-end au même titre que les autres vont se promener. Que les randonneurs acceptent que dans la campagne, il peut y avoir d'autres usages. Il y a eu des centaines de morts sur les plages, dans les piscines privées, une trentaine sur le Mont Blanc, il n'y a pas que la chasse qui est risquée".

75.000€/an pour pouvoir chasser

Quand on lui fait remarquer que ces sports ne se pratiquent pas avec des armes qui peuvent blesser ou tuer un tiers, le chasseur répond : "On chasse dans des forêts où on a le droit de chasse. Moi j'ai des sociétés de chasse qui paient 75.000€ pour pouvoir chasser dans les forêts domaniales. Elles sont louées à grand frais par les chasseurs et ce sont les seuls à payer quelque chose. Vous allez aux champignons, en randonnée ou vous escaladez le Mont Vallier, vous faites du sport extrême, du VTT, vous ne payez rien".

"Quand on paie 75.000€, ça mérite de ne pas se faire insulter. On se fait insulter, agresser parce qu'on est chasseur or on n'est pas une sous-espèce ! Moi je n'accepterai pas qu'on vienne me dire que le dimanche je ne peux pas chasser. Je veux pouvoir chasser là où j'ai le droit de chasse toute l'année. Moi, en Ariège j'ai 30 hectares. J'en paie les impôts et vous allez me dire : vous n'avez pas le droit d'y chasser un jour par semaine ?".  

"En Ariège, on chasse trois jours par semaine, notamment en battue. Il y a sept jours dans la semaine. On met des panneaux, on signale nos battues. Il y a de la place pour tout le monde. Quand on est à droite, il suffit de passer à gauche et vice et versa".

Si le gouvernement décide de l'interdiction de chasser une journée par semaine, le président de la fédération dit qu'il appliquera la loi mais il prévient : "les terrains seront clos, la campagne va se refermer. 70% de la campagne et de la montagne sont privées. Les gens demanderont aux promeneurs d'aller se promener ailleurs. On va dresser les gens les uns contre les autres".

Fautes humaines

Pour l'OFB, la très large majorité des accidents de chasse est le résultat de fautes humaines liées au non-respect des règles élémentaires de sécurité. "Parmi les principales causes d’accidents recensés, on retrouve, comme les années passées, le manquement aux règles essentielles de sécurité lors de la chasse en battue au grand gibier : non-respect de l’angle de tir (30 degrés), mauvaise manipulation d’armes, tirs en direction des routes, habitations ou chemins de randonnées".

Les associations qui ont interpelé le président de la République ont rappelé que la chasse n’était pas un sport comme les autres et présentait des "risques mortels", notamment pour les non-pratiquants. Elles lui ont demandé "d’accorder un jour de répit, le dimanche, pour les autres usagers de la nature comme pour la faune". Depuis le 1er septembre 2022, il y aurait 18 victimes chez les non-chasseurs (dont un mort) et 17 chez les chasseurs (dont deux morts).

* Magalie est un prénom d'emprunt

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