Inspirée de la tuerie d'Utoya en Norvège en 2011, "Sur une île", à l'affiche du Théâtre Garonne à Toulouse, résonne particulièrement quelques semaines après les attentats du 13 novembre à Paris.
Comment réagir face au terrorisme ? Le théâtre Garonne, à Toulouse, présente "Sur une île", une réflexion sur la vie après un attentat, inspirée du massacre d'Utoya en Norvège où, en 2011, un extrémiste de droite avait tué 77 personnes.
"Il est venu pour nous protéger. C'est ce qu'on a pensé d'abord" : dans un loft quasiment vide, de la même blancheur saturée dont sont faits les rêves, le fantôme d'Eva (Mathilde Olivares), 16 ans, raconte comment elle est morte sous les balles d'Anders Behring Breivik, venu sur l'île d'Utoya déguisé en policier.
Le sang coule sur le corps d'enfant d'Eva, qui revit dans une danse macabre sa noyade dans les eaux du lac, sous les yeux effrayés de son frère survivant, Jonas (Laurent Cazanave), étudiant en droit qui avoue avoir vécu, "avant, dans une illusion d'un règne du droit".
Dans un dialogue d'outre-tombe, frère et soeur vont passer par toutes les étapes du deuil : les souvenirs, la douleur de la séparation, la reprise d'une vie "normale" puis, enfin, la réflexion.
"Nous ne sommes pas dans un théâtre documentaire. De toute façon, on ne peut pas représenter ce qui est irreprésentable. Nous sommes dans une fiction. Le frère traverse des états émotionnels mais il y a un deuxième plan, plus politique : comment réagit-on par rapport à cela?", explique-t-il. "Les attentats de Paris ont prouvé que nous ne pouvons pas nous tenir à distance", estime le metteur en scène, qui a commandé la pièce à l'écrivain et plasticien Camille de Toledo, après avoir lu son livre "L'Inquiétude d'être au monde" (Verdier/Chaoïd).
Les attentats de Paris du 13 novembre 2015 sont survenus dans l'ancien quartier de l'écrivain-vidéaste. "J'étais passé devant le Bataclan dix minutes avant" les attaques, raconte-t-il.
Mais l'auteur dit ne pas avoir été "surpris" par cette violence : "Ce XXIe siècle est fait d'une pulsion violente, d'un retour de la guerre", dit-il.
L'Europe a été fondée sur la volonté "d'interdire la guerre", après l'hécatombe de 1939-45, mais la paix est illusoire, estime-t-il. "Petit à petit, la grande chape de la paix européenne s'effondre. Nous voulons une paix éternelle mais nous perdons", dit Eva dans la pièce.
Mais, plutôt que de se demander comment réduire la violence, il faudrait faire en sorte que la démocratie ne soit pas dissoluble dans le terrorisme.
"La peur de (Breivik) a gagné toutes les têtes", accuse Eva. Au lieu "d'apaiser", "la France, depuis Jacques Chirac, s'entoure de jeunes chiens appelant au combat permanent", renchérit Camille de Toledo.
"Le sommet de l'Etat perd la raison. Lorsque ça se déteste au sommet de l'Etat, que voulez-vous qu'il se passe dans la société?", se demande-t-il.
Ainsi, nos gouvernants, et "même des élus de gauche", "marchent sur 50 ans de reconstruction européenne, morale et éthique, contre la barbarie". Les actes terroristes récents ont "renforcé des Etats politiques réactionnaires", dont la plus grande "faute politique" est l'état d'urgence liberticide, selon l'auteur. "J'aimerais beaucoup qu'il y ait des ministres dans la salle", ajoute-t-il.
Sorte d'appel à résistance, "Sur une île" se termine ainsi par les mots de Jonas : "Les Etats répondent à la violence par une violence supérieure", conclut le personnage, avant que le bruit d'une explosion retentisse dans un grand flash de lumière.
Jusqu'au 29 janvier au théâtre Garonne, à Toulouse.