La Cour d'appel de Toulouse examine ce 1er décembre 2021 un cas sans précédent, susceptible de faire évoluer la législation sur la filiation des personnes transgenres : une femme, pourtant parent biologique, ne figure pas sur l'acte de naissance de sa fille.
Depuis 2014, Claire*, femme transgenre de 52 ans, se heurte à la justice et à un vide juridique. Après avoir été reconnue femme à l'état civil en 2011 et avant d'être opérée, Claire a conçu un enfant avec son épouse, le troisième du couple, une fille née en 2014. Depuis, elle réclame son inscription en tant que "mère" sur les registres de l'état civil.
À ce jour, seule l'épouse de Claire, Marie* âgée de 51 ans, figure comme parent sur l'acte de naissance de leur fille, qui a aujourd'hui sept ans. Situation insupportable. "Pour moi l'enjeu est plus que symbolique", explique Marie. "Je souhaite que notre enfant porte le même nom de famille, le nôtre et pas seulement mon nom de jeune fille", explique-t-elle d'un ton calme. "Aujourd'hui, c'est comme si j'avais eu un enfant toute seule, or ce n'est pas vrai" poursuit-elle.
Vide juridique
Clélia Richard, l'avocate, se dit "prudente - c'est mon naturel - mais je suis optimiste effectivement". Elle déplore toutefois que la procédure dure depuis si longtemps. "C'est beaucoup trop long (...) Si elle est femme à l'état civil et si elle est parent biologique de l'enfant, c'est évident, elle doit figurer comme mère sur l'acte de naissance de l'enfant ", a-t-elle déclaré à l'AFP.
Le Parquet général de la Cour d'appel de Toulouse tient un raisonnement semblable, et recommande dans ses conclusions écrites de "retranscrire le lien de filiation sur l'acte de naissance comme "mère de l'enfant". Mais il recommande aussi que le jugement de modification de l'état civil soit mentionné sur l'acte de naissance. Objection sur ce point de Me Richard, qui y voit un facteur potentiellement "discriminant". "On ne lâchera pas sur l'histoire de la reconnaissance. Le lien biologique est là. Le législateur n'est pas en phase avec la réalité, et les magistrats viennent pallier les carences d'une loi incohérente", argue-t-elle.
Adopter... son propre enfant
Si la Cour tranchait en faveur de Claire, "ce serait cohérent et logique", ajoute l'avocate, "ce serait une première en France, et par rapport aux pays européens, on retrouverait notre rang de pays des droits humains". Malgré les démarches légales menées par le couple avant la naissance de leur fille, Claire ne pouvait figurer que comme père sur l'acte de naissance, lui avait alors rétorqué l'officier d'état civil. Ce qu'elle a refusé. Pour qu'elle soit reconnue comme mère, la justice a conseillé au couple, marié depuis 1999, de passer par une procédure d'adoption. Un épisode que Marie a très mal vécu : "L'État est dans le mensonge. On ne peut pas adopter un enfant qu'on a conçu biologiquement".
Longue bataille judiciaire
Depuis 2014, Claire va de juridiction en juridiction. En première instance en 2016, un tribunal à Montpellier avait rejeté la demande. En 2018, la Cour d'appel de Montpellier lui avait accordé le statut de "parent biologique", jugement inédit cassé le 16 septembre 2020 par la Cour de cassation, selon laquelle cette catégorie n'existe pas en droit français, qui n'a que deux options: "père" ou "mère".
Une décision inacceptable pour Me Richard, qui avoue avoir été "très déçue" par cet arrêt qu'elle entend combattre désormais devant la Cour d'appel de Toulouse ce mercredi 1er décembre 2021.
"Je suis tombée amoureuse d'une personne, pas d'un genre..."
Fait rare, l'épouse de Claire, et mère de leurs deux premiers enfants, a accompagné sa transition. Sans aucun doute. "Je suis tombée amoureuse d'une personne, pas d'un CV, pas d'un genre. Je ne me suis jamais posé la question sur notre avenir en commun" explique Marie. L'Association des parents gays et lesbiens (AGPL) est partie intervenante dans la procédure. Son avocat plaidera mercredi et appuiera la demande de Claire, à qui "on refuse l'application de la loi, puisque la loi devrait lui reconnaître le statut de mère en tant que parent biologique et femme à l'état civil", selon l'AGPL.
Marie attend beaucoup de cette audience. Et espère que la Cour d'appel donnera raison à son couple. "S'il m'arrive quelque chose, Claire n'aura aucun droit sur notre troisième enfant. Elle ne pourra pas l'aider, l'éduquer, la soutenir. Ce n'est pas imaginable" explique-t-elle.
Ce mercredi 1er décembre, l'audience devant les cinq juges de la Chambre civile de la Cour d'appel de Toulouse ne sera pas publique et doit débuter à 9h. La date du délibéré sera fixée à la fin de l'audience, qui devrait durer toute la matinée.
* les prénoms ont été changés