VIDEO. "Les sangliers entrent partout en ville : à Hong Kong, en Israël, à Barcelone, Berlin" : entretien avec Raphaël Mathevet, chercheur au CNRS

Une laie et ses petits a été aperçue au gré d'une balade par un promeneur qui a capturé ce moment insolite dans la commune de Pinsaguel (Haute-Garonne). Une nouvelle preuve du rapprochement des sangliers en direction des villes. Explications du phénomène avec Raphaël Mathevet, directeur de recherche au CNRS, co-auteur d’un livre sur le sanglier.

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Cette laie, manifestement peu effrayée par l'auteur (amateur) de la vidéo (Crédit : Thomas Houel) , trottine allègrement avec ses petits sur un chemin de Pinsaguel (Haute-Garonne). Mignonitude assurée et interview de Raphaël Mathevet, directeur de recherche au CNRS, co-auteur d’un livre sur le sanglier. Il nous parle de son rapprochement avec l’homme. 

 Raphaël Mathevet, les sangliers craignent-ils (encore) l’homme ?

"Il faut prendre en compte le contexte. Dans des milieux chassés, il le craint. Il a tendance à le fuir, ce qui en fait un gibier de choix pour les chasseurs, du fait des chiens qui les poursuivent aussi. En ville, c’est autre chose. Ils ne peuvent pas avoir peur de l’homme car ils ne sont pas chassés et se sentent donc plus en sécurité qu’à la campagne. Il y a également un phénomène d’habituation : les animaux sont peu craintifs en contexte urbain car ils y trouvent de la nourriture facilement. On leur donne des pommes, des restes de repas, des pâtes au fond des jardins ou aux abords des jardins publics. Comme on vient les nourrir, les animaux s’habituent et deviennent plus curieux, plus audacieux".

Est-ce une bonne idée de les nourrir en ville ?

"Ce n’est pas une très bonne idée car cela les habitue à dépendre des humains de plus en plus. Parfois, des personnes qui voient une laie et ses marcassins considèrent qu’ils sont pourchassés et viennent trouver refuge en ville. Sous couvert d’empathie, de biophilie, de la même manière que ce que l'on observe dans les jardins avec les oiseaux ou les écureuils, ils considèrent que les animaux sont malheureux et qu’il faudrait les accueillir, les sustenter. On leur donne alors facilement de la nourriture, des pâtées pour chats ou les déchets des poubelles. De ce fait, ils ne craignent pas les humains en ville.

Pour d’autres, c’est l’intérêt du « spectacle ». " Il y a des lieux où des particuliers viennent en voiture déverser des restes de repas et restent pour voir sortir les sangliers des sous-bois et pour observer leurs interactions ".

La famille de sangliers a été aperçue à Pinsaguel, aux portes de Toulouse (Haute-Garonne).

Le sanglier est-il moins sauvage qu’avant ?

"Ça dépend par rapport à quand. Si on compare aux années 1950, il y avait beaucoup moins d’humains et de sangliers. Aujourd’hui, les sangliers sont les dignes représentants de la nature sauvage et sont très nombreux. Pour donner un ordre de grandeur, 840 000 sangliers sont tués par an. Dans le Gard, on tuait 500 sangliers par an au début des années 1970. Aujourd’hui, on en tue 47 000, rien que dans le Gard. On y détient régulièrement les records de France et l’animal n’a jamais été aussi abondant. Aussi, on n’a jamais eu autant d’étalement urbain. Par conséquent, nous venons à la rencontre du sanglier autant qu’il vient à la nôtre.

On peut avoir des sangliers qui restent très sauvages dans leurs attributs physiques, leur comportement en nature sauvage et d’autres qui fréquentent beaucoup plus souvent les activités humaines et y sont bien plus familiarisés que par le passé. Cela dépend vraiment des contextes géographiques et des territoires. Localement, on a des sangliers qui sont plus ou moins sauvages et autonomes et c’est cela qui est intéressant : il s'agit d'un animal hybride qui nous interpelle et nous amène à redéfinir la limite entre le sauvage et le domestique. On se pose finalement la même question que pour d’autres animaux ou moustiques. Ces derniers par exemple sont-ils encore sauvages à l’heure où on construit des hôtels pour insectes ?

Autre chose : les axes routiers, avec les grandes pénétrantes et les grillages pour éviter les collisions routières avec les animaux sauvages. Les animaux peuvent les suivre sur les nationales et les autoroutes et cela peut contribuer à amener les animaux en ville. Le sanglier est un bon exemple du fait que la biodiversité arrive en ville. S’y porte-t-elle bien ? Ça se discute, mais elle bénéficie en tout cas des infrastructures humaines. Les sangliers pour ce qui les concerne utilisent souvent aussi les cours d’eau asséchés qu’ils empruntent comme des voies de circulation, notamment en Occitanie."

Le sanglier peut-il charger ? Mythe ou réalité ?

" Par le passé, le sanglier était présenté comme un individu faisant peur. À l'Antiquité, mythes grecs et autres récits de chasse parlaient d’animaux écorchés, éventrés et de personnes gravement écorchées également. C’est pour çela qu’il était pourchassé : l’animal était brave, donc on recherchait la bravoure.

L’animal peut peser entre 80 et 100 kilos et porte des défenses. Il est donc capable de se défendre et est considéré comme un représentant de la faune sauvage, ce qui a nourri cette crainte qu’on peut avoir d’être chargé.

Généralement, il ne charge pas sauf s'il se sent acculé, s’il n’a pas d’issue de secours pour s’enfuir. Dans ce cas-là, il peut charger. Ou encore s’il est "suité" (accompagné, suivi de ses petits) par des jeunes, comme une laie avec ses marcassins. Il faut alors faire attention car elle peut charger pour défendre ses petits.

Chaque année, il y a des accidents de chasse où les bêtes blessent chiens et individus, mais il y en a rarement dans des situations de rencontres fortuites.

Cela peut arriver ponctuellement en ville, avec des personnes qui promènent leur chien le soir par exemple et croisent un sanglier agacé par le canidé, qui se met à le charger. Mais là encore, il s'agit d'une défense, c’est le sanglier qui repère le chien et le charge.

Beaucoup de grands noms dans la mythologie grecque évoquent des morts par accident avec un sanglier. Dans les temps anciens, on pouvait mourir suite à une mauvaise rencontre avec un sanglier. Aujourd’hui, on peut être blessé gravement, mais je n’ai pas connaissance de morts. S’il y a charge, on sauve à présent humains et animaux. Comme pour toutes les bêtes sauvages, il peut y avoir des comportements imprévisibles. C’est pourquoi il faut toujours garder des distances avec l’animal, même si en lui-même, il n’est pas dangereux."

Quid de la chasse et de la régulation ?

"Quand on chasse, il y a deux situations : chasser et réguler. Chasser, c’est pour jouer, avec cette notion d’imprévisibilité qui fait l’intérêt de la chasse. Le chasseur ne sait pas s’il va trouver du gibier et pouvoir le chasser, avec cette idée aussi de " va-t-il décider de tuer l’animal ou non ? " Dans la régulation, on n’est pas là pour lui laisser une chance de survie, mais pour le tuer.

Il y a des chasseurs qui se revendiquent de fonctions sociales et expliquent qu’ils interviennent face aux dégâts causés dans les jardins ou aux dégâts agricoles. « La société a alors besoin d’eux pour les réguler ».

De l’autre côté, des chasseurs disent ne pas être là pour réguler mais pour pister et chasser une bête en décidant s’ils vont l’abattre. Le fait qu’il y ait une abondance de sangliers, qu’il y en ait de plus en plus, fait qu’on demande aux chasseurs de chasser mais surtout de réguler pour éviter les dégâts agricoles.    

A la fin des années 1960, les agriculteurs avaient encore un droit d’affût. Ils étaient autorisés à tuer un sanglier venant occasionner des dégâts chez eux, ce qui ne permettait pas une gestion optimale. Dans les années 1970, on a négocié avec eux et supprimé le droit d’affût, mais les chasseurs ont depuis le droit d’intervenir à leur place. Ils perçoivent pour cela une cotisation de leur part et les chasseurs vont alors essayer d’avoir le plus d’animaux à tuer. Il n’y a jamais eu autant de sangliers à tuer et en même temps, il n’y a jamais eu autant de dégâts agricoles. Les préfets demandent aussi aux chasseurs d’intervenir et de chasser du gibier en quantité dans les territoires qui ont un fort taux de dégâts agricoles ".

Et en Occitanie ?

" C’est valable partout car les sangliers entrent partout en ville dans le monde : à Hong Kong, en Israël, à Barcelone, Rome, Berlin. Sur tout le continent européen, eurasiatique, les sangliers entrent en ville, ils n’ont jamais été aussi nombreux. On n’a pas pris soin d’eux et par ailleurs, on n’a jamais eu autant de nourriture dans les champs avec l’agriculture intensive ".

Avant, un sanglier passait la journée dans les bois pour se nourrir et ensuite, il pouvait faire des raids dans l’espace agricole pour son agrément. Aujourd’hui, il  peut rester dans un champ de maïs énorme et y passer jour et nuit. Dans ce cas alors, ils sont difficiles à traquer. On a actuellement une transformation de tous nos paysages, les territoires sont devenus très propices aux sangliers et la région Occitanie ne fait pas exception."

Le livre de Raphaël Mathavet et son co-auteur Roméo Bondon ici : Mathevet R., Bondon R., (2022). Sangliers. Géographies d’un animal politique. Coll. Mondes Sauvages, Actes Sud, Arles, 205p.

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