La petite sirène n’est pas seulement un conte pour enfants. C’est aussi une discipline artistique et sportive. Plongez au cœur de cet univers féérique.
C’est une passion à la fois sportive et merveilleuse. Un rêve d’enfant qui ne fait que grandir dans le coeur des petites filles.
Une sirène à Toulouse
Aurore Bardet est fascinée par Arielle, la Petite sirène depuis son enfance. Son rêve ? Lui ressembler. Elle y pense depuis l’âge de 2 ans et demi.
A 34 ans, Aurore Bardet, alias Aquata, vit désormais son rêve. Elle pratique la nage de sirène à la fosse des Argonautes à Toulouse. “Ce qui est le plus dur, c’est l’apnée à répétition”, explique-t-elle. “C’est quand même très éprouvant. Il faut vraiment prendre son temps entre les plongées, de bien se relâcher, de bien respirer, parce que sinon, on fait de toutes petites apnées et la vidéo n’est pas du tout jolie.”
Avec près de 20 000 followers, Aquata est une sirène professionnelle. Elle réalise régulièrement des vidéos qu’elle poste sur les réseaux sociaux. “J’ai besoin d’avoir ces vidéos de moi en sirène”, ajoute Aurore Bardet. “C’est quelque chose de très important pour moi, ça révèle ce que je suis réellement. Et nager me détend vraiment beaucoup.”
Née aux Etats-Unis et en Australie, la discipline du "mermaiding" est relativement récente en France. Cet engouement pour les sirènes se traduit à tous les niveaux. Spectacle, performances, conférences… L’univers du mermaiding brise les frontières.
Créatrice de queue de sirènes
La passion d’Aurore Bardet ne se limite pas à la nage. La jeune femme fabrique elle-même ses nageoires en silicone, un savoir-faire rare en France. “J’utilise un moule en résine polyuréthane qui m’a demandé énormément de travail parce que tous ceux d’avant étaient en plâtre” précise-t-elle. “C’étaient des essais qui n’ont pas tenu dans le temps.”
À 18 ans, Aurore conçoit son premier costume fonctionnel. Mais le chemin pour fabriquer une queue de sirène parfaite est très long. La passionnée est obligée de tout apprendre sur le tas, à une époque où le « mermaiding », soit la pratique de la nage de sirène, est loin d’être à la mode. « On n’avait pas de tutos. Alors, il faut faire ses propres essais», se souvient-elle. Le matériel coûte cher. Aurore l’admet, plus d’une queue de sirène a fini à la poubelle : « Ça demande beaucoup de travail. » Aujourd’hui, j’ai ma propre façon de faire et qui me donne le rendu que je veux. »
Après des années de tâtonnement, de nombreux essais infructueux, la créatrice a choisi de travailler le silicone pour ses modèles. Chaque queue de sirène nécessite des semaines de travail et l’application de pigments pour donner aux nageoires leur aspect brillant. “J’applique ces pigments directement” ajoute-t-elle. “Certains fabricants les mélangent directement dans le silicone. Moi je trouve que l’effet est beaucoup plus sympa lorsqu’on applique directement la poudre dessus. Pour avoir tester les deux, je préfère clairement cette technique.” La couleur, la souplesse, l’élasticité ou encore le poids de la monopalme comptent beaucoup. Car, cela va de soi, quand Aquata nage, elle doit se sentir… comme un poisson dans l’eau. " Il ne faut pas que ma queue me freine, mais au contraire qu'elle me propulse", précise Aurore. "C'est la chose la plus difficile à concevoir. En un coup de nageoire, je peux faire six mètres."
Le premier prix d’une nageoire démarre à près de 2000 euros. Sa dernière oeuvre est une commande pour Brooklyn aux Etats-Unis. Elle est aujourd’hui reconnue dans le monde entier et vit de sa passion. “J’ai réalisé mon rêve”, se réjouit-elle. “C’est quelque chose qui me tenait tellement à coeur quand j’étais petite. Je n’ai pas du tout lâcher l’affaire et je suis très contente de ne pas avoir lâcher l’affaire.”
Alexandre, un homme triton à Toulouse
Le mermaiding est encore confidentiel en France mais il attire toujours plus de monde, principalement des femmes mais aussi quelques hommes, les tritons.
Alexandre Cuenca est l’un d’entre eux. Ancien chasseur alpin, il découvre l’ivresse du mermaiding alors qu'il vient de s'offrir sa première nageoire. “J’aime bien la vitesse. Quand on peut nager avec une monopalme et qu’on sent cette vitesse, c’est vraiment un plaisir énorme”explique le jeune homme. “La liberté qu’on a de se mouvoir, de se dire qu’on peut tout faire, on peut aller au fond, on peut remonter, on peut aller sur les côtés, on peut faire ce qu’on veut, c’est juste génial, un vrai plaisir.” Le jeune homme, adepte du cosplay, a commencé à filmer sa compagne avant de plonger dans le bain du mermaiding au masculin.
Bien que peu nombreux, les tritons ont leur concours en France depuis 2019 : le Mister triton.
Claire, 1e sirène professionnelle en France
Au milieu des poissons et mammifères marins, une sirène ! Claire Baudet est la première sirène professionnelle en France. Depuis une douzaine d’année, la jeune femme se produit à l’aquarium de Paris. Un rêve d’enfant devenu réalité. “C’est parti d’un vrai coup de cœur pour l’océan et ses mythes”, se souvient la sirène. “Et c’est en liant mes deux passions pour les mondes fantastiques et l’univers marin que l’idée de sirène m’est venue.”
Chorégraphie, costumes, musiques… son spectacle emmène les visiteurs dans cet univers mythologique. Parée de sa nageoire en silicone (entièrement confectionnée par ses soins), elle plonge face à son public, réalise ses chorégraphies et ses pirouettes sans le moindre effort en apparence. “Nous ne nous attendions pas du tout à voir ça”, se réjouit une maman venue avec sa fillette. “On venait pour les poissons, les requins mais on repart avec des paillettes plein les yeux.” “On a grandi avec, et en voir une en vrai, c’est de la magie”, témoigne un visiteur.
A l’origine des sirènes
Claire Baudet est passionnée depuis toujours par les sirènes. Au point que, jeune doctorante, elle rédige deux mémoires autour de son mythe et de sa représentation moderne. “Nous les Français, nous aimons bien faire remonter les sirènes à L’Odyssée d'Homère avec les sirènes ailées qui attaquent les marins. Mais en fait, bien avant cela, il y avait déjà des sirènes dans la mythologie mésopotamienne. Nous avions un dieu sirène, nous avions aussi une déesse sirène. L’église catholiguqe a un peu récupéré le mythe pour en faire un mythe chrétien et forcément la sirène était du côté du diable.”
Le mythe remonte à 2000 ans avant Jésus Christ. Le premier être sirène connu à ce jour était un homme. Mais dès le moyen-âge, la vierge à queue de poisson s’impose. Elle est à la fois crainte et respectée.
Avec son conte de fée, Hans Christian Andersen, amorce l’histoire moderne de La petite sirène, sombre allégorie d’un impossible amour, qui va dès lors, nourrir les fantasmes de la création artistique. “Il y a cette dualité de la sirène qui peut être à la fois une sauveuse de navires, une sauveuse d’hommes, une créature merveilleuse, féérique, avec énormément de connaissances. Mais en même temps, elle peut se révéler aussi diabolique que monstrueuse. Elle peut faire échouer les navires comme les sauver.” Une créature hybride, à cheval entre deux mondes.
L’élection de Miss mermaid Occitanie 2023
A Saint-Sulpice (Tarn), s’est tenue cette année l’élection de Miss Mermaid Occitanie 2023. 3 candidates âgées entre 22 et 40 ans se sont investies jusqu’au bout des écailles pour se mesurer à travers 3 épreuves artistiques et sportives. “C’est vrai que la sirène, ça prête à sourire, c’est coloré. Mais nous derrière, ce qu’on aime apporter, c’est le côté sportif”, précise Ingrid Fabulet, la directrice de Miss Mermaid France et international. “La préparation, comme pour tout sportif est primordiale.Et aujourd’hui, pour le concours, on va essayer de faire sortir le meilleur de leurs performances.”
La première épreuve est celle de l’apnée dynamique. Angélique, Alexandra et Marianne doivent nager en monopalme et en apnée sur la distance la plus longue possible (25 mètres minimum). “Avoir les jambes collées entre elles, c’est une habitude à prendre”, témoigne Angélique. Puis vient l’épreuve du posing sous l’eau où l’on évalue la sirène la plus photogénique. Et enfin les figures : un enchaînement de mouvements pour prouver son aisance sous l’eau. “C’est grisant cette sensation de liberté sous l’eau, c’est ce qu’il y a de mieux”, ajoute Alexandra. Pour Marianne, à 40 ans, cette performance est un défi personnel. “Les sirènes sont censées être belles, avoir de jolis corps tout frais”, explique-t-elle. “C’est motivant pour garder la ligne, pour faire du sport et s’entretenir en tant que femme.” Au-delà de la compétition, le mermaiding est une passion qui éclipse le quotidien et engage à se surpasser. C’est aussi une vraie ambition féministe.
Avec nos paillettes et nos coquillages, pourquoi pas féminiser le monde de l’apnée professionnelle. Un univers très masculin et très axé sur la performance.
Ingrid Fabulet, Miss Monde sirène 2016
Angélique remporte le titre de Miss mermaid Occitanie 2023.
Ce concours permet de mettre en lumière cette nouvelle pratique sportive, reconnue par la Fédération française d’études et de sports sous-marins depuis 2019.
Les naïades d’Occitanie
Alexandre, Aurore et les autres font partie des naïades d’Occitanie. Ils sont une dizaine de sirènes et tritons à se démener pour se faire connaître. Car si la pratique est très populaire aux Etats-Unis, elle souffre encore en France d’incompréhension et parfois de rejet. “Nous avons du mal à avoir des piscines pour pouvoir nager, notamment pour des raisons de sécurité”, déplore Melissa Coimet-Gonthier, alias Mélusine. Les maîtres-nageurs ne veulent pas prendre de risque parce qu’on est quand même deux pieds dans une monopalme donc les pieds joints et on prend de la place avec les costumes et c’est souvent pas évident d’avoir des créneaux et d’avoir une ligne de piscine.” L’association milite pour une pratique encadrée. “Nous voulons montrer que c’est un sport, une pratique au cours de laquelle on ne peut pas faire n’importe quoi puisqu’on a une partie apnée”, explique Noémie, alias Néa Tolosa. Institutrice, elle rêve de passer les diplômes pour enseigner la discipline et créer une école. Il en existe plusieurs en France et une dizaine d'établissement dans le monde (France, Singapour, Espagne et Philippines).
Le goût de l’effort, de la performance, de l’esthétique… Autant de valeurs transmises par une communauté à la fois accueillante, rigoureuse et parfaitement fantaisiste.
Ecrit avec Odile Debacker et Marie-Lou Robert.