Dans l’Hérault, le metteur en scène Benjamin Barou-Crossman est en train de créer une comédie musicale avec les habitants d’un quartier prioritaire d'Agde. «Body Agde» c'est son nom, sera jouée le 26 août prochain. Un projet ambitieux mené avec l’Agathois Thierry Patrac.
C’est le fruit de la rencontre entre deux hommes, Benjamin Barou-Crossman 37 ans comédien et metteur en scène parisien et le comédien Thierry Patrac, un ardent défenseur de la culture gitane qui déborde d’idées et d’énergie.
Les deux hommes seront sur scène avec 25 amateurs, des musiciens, des chanteurs, des danseurs pour la plupart issus du quartier du centre-ville la Glacière.
Benjamin interprète son propre rôle, celui du metteur en scène parisien venu faire passer des castings à des amateurs locaux. Mais la ressemblance s’arrête là.
Il joue le rôle d’un intello prétentieux, enfermé dans ses préjugés qui arrive à Agde pour repérer des talents et les faire jouer sur les scènes parisiennes. Au premier abord, il se retrouve face à de « piètres » artistes, des « bras cassés » pense-t-il, dont les codes ne correspondent pas à ses schémas artistiques.
« Au début de la comédie musicale, le metteur en scène leur rentre un peu dedans, il se montre très cassant, hautain et petit à petit, il se laisse prendre au jeu, il est saisi par l’émotion dégagée sur scène et fini par réaliser que finalement c’est peut-être cela l’Art » explique Benjamin Barou-Crossman de la compagnie TBONTB (To Be Or Not To Be).
Rencontre avec l’art populaire
Le metteur en scène interprété par Benjamin Barou-Crossman va finir par se libérer de ses stéréotypes. Il se met à danser, chanter avec les artistes amateurs, et à déclamer des textes de Frédérico Garcia Lorca. Il rencontre une nouvelle famille artistique.
« Il monte sur scène avec eux et va reconnaitre que l’art c’est d’abord l’émotion et le corps. Il réalise que l’on intellectualise trop les choses et il va ainsi rencontrer l’art populaire, sa puissance, sa vérité. » Benjamin Barou-Crossman.
Thierry Patrac entre en scène. Il déclame des textes sur l’histoire des tsiganes pendant la Seconde guerre mondiale, leur extermination de masse. Une terrible page de l’histoire souvent méconnue. Thierry a déjà joué des rôles pour le théâtre, le cinéma, il a par ailleurs organisé de nombreuses expositions sur l’histoire du peuple tsigane. C’est un touche à tout talentueux. Il a également organisé des festivals de salsa, de flamenco ou encore de rumba et a créé l’association culturelle « traditions des gitans du grand sud ». C’est un boulimique de projets. Il envisage bientôt de créer, à Agde, le premier centre culturel tsigane de France.
C'est un personnage incontournable de la ville. Il a grandi à la Glacière, quartier prioritaire du centre-ville où sera jouée la comédie musicale. Ici, tout le monde le connaît et le respecte. Depuis des décennies, il fait un travail de fourmis pour créer des ponts entre les "pailloux" - les non gitans- et les gitans.
Il se bat aussi pour qu’ils s'approprient leur histoire et leur destin.
Thierry fait un travail de contact, tape aux portes, discute des heures s’il le faut pour motiver les habitants, trouver les bons mots pour susciter chez eux l’envie de monter sur scène et combattre la peur, parfois, de s’exposer. Son quartier est une mine de talents méconnus.
La Glacière, c’est un quartier mort qui ne demande qu’à vivre, il n‘y a presque plus de commerces, plus rien. La comédie musicale va être belle, vivante, riche avec les habitants. Il y a des gens de culture gitane, d'autres de culture maghrébine et des pailloux. Ma motivation première, c’est de ne pas oublier les gens des quartiers, ils ne veulent plus être des spectateurs mais être acteurs, ils ont besoin de reconnaissance, l’idée c’est de travailler tous ensemble.
Thierry vit sur place et assure une permanence sur le terrain. Benjamin lui, quitte très régulièrement la capitale pour rejoindre Agde. Ils coachent, conseillent, encouragent. Tout l’été les ateliers de danse, chant, musique et même hip hop s’enchainent dans la salle municipale.
« Les gens sont étonnés qu’un gitan et un paillou puissent travailler main dans la main sur des projets comme celui-ci » affirme Thierry Patrac. Les deux complices se connaissent de longue date. En 2017, ils ont joué ensemble sur les planches à Paris, une superbe pièce écrite par Benjamin intitulée « l’âme gitane ».
Ce quartier est devenu le QG du metteur en scène qui est désormais ici chez lui. Son objectif : faire monter des locaux sur les planches et leur offrir une part de rêve.
« Il y a une force émotionnelle sur scène, une intensité qui me touche, il y a de vrais talents dans ces quartiers, ce n’est pas que du folklore bien au contraire, ce sont des artistes profonds qui ne demandent qu’à être repérés et avoir leur place aussi sur de grandes scènes, il y a un retard considérable à combler. » déplore Benjamin Barou-Crossman.
En toile de fond de «Body Agde» : la lutte contre les discriminations
« Ce que l’on veut, c’est mettre à l’honneur la mixité, il y aura des gitans, des maghrébins, des pailloux, des enfants, des jeunes, des vieux, filles et garçons » dit Thierry. « On veut dire que l’art peut s’adresser à tout le monde et que l’on peut toucher tous les publics » confirme Benjamin Barou-Crossman.
Pour ce projet, le metteur en scène a reçu le soutien des partenaires institutionnels, le centre social, la ville d’Agde, la DRAC Occitanie, la préfecture…
« Body Agde » est programmé le jeudi 26 août place de la Glacière à Agde. Sans nul doute, ils offriront au public une représentation pleine d'énergie, de surprises, d'improvisations et de vie.
Benjamin Barou-Crossman enchaîne les projets au plus près des gens, il est déjà en repérage au quartier Saint-Jacques à Perpignan, où il prépare une nouvelle comédie musicale avec les habitants de ce quartier populaire. Il l’a baptisée « Perpi Comedy »...