Le Printemps des comédiens 2017 a connu vendredi 30 juin 20147 au soir, à Montpellier, un final magistral avec la création en France de "Sentiments connus, visages mêlés" du Suisse Christoph Marthaler.
Présent depuis plus de 30 ans sur les plus grandes scènes européennes de théâtre et d'opéra, Marthaler fait dans cette pièce, qui doit encore être jouée samedi soir, des adieux burlesques et mélancoliques à la palpitante Volksbühne, le théâtre du peuple et de l'Est de Berlin avec lequel il entretient un rapport intense.
Les rires fusent dès le départ lorsque des personnages à la mine et aux vêtements défraîchis de la mythique troupe sont "livrés" tels des objets dans des caisses en bois ou des emballages improbables dont ils se libèrent de manière ubuesque.
Marthaler et sa complice habituelle, la décoratrice et costumière Anna Viebrock, les plongent dans un "non-lieu" où ils déambulent, divaguent et disjonctent entre des murs nus portant la trace de tableaux depuis longtemps décrochés et dans un inquiétant ascenseur.
Sont-ils des revenants ? Des pièces de musées ? Les pensionnaires d'un asile psychiatrique ? Ou simplement des artistes privés de scène qui se mettent soudain à chanter en solo ou à l'unisson - Mozart ou Verdi.
Dans ce spectacle en allemand surtitré en français, le chant incarne le souvenir, les objets sont une évocation poétique du temps qui passe inexorablement.
Entre théâtre à textre et théâtre musical
Né à Erlenbach dans le canton de Zürich en 1951, Marthaler a suivi des études musicales (hautbois et flûte notamment) puis l'école de théâtre de Jacques Lecoq, avant d'unir ces deux univers dans des fictions où parole, chant et musique racontent des histoires peuplées de personnages du quotidien en décalage avec la civilisation du mouvement continu.
Fidèle à son habitude, dans "Sentiments connus, visages mêlés", Marthaler porte un regard profondément humain sur ses personnages. Avec la lenteur et l'ironie qui caractérisent ses mises en scène, il crée une puissante poésie scénique qui abolit les distinctions entre théâtre à texte et théâtre musical.
Depuis la nomination en 1992 du metteur en scène Frank Castorf comme intendant du théâtre emblématique de la Rosa-Luxemburg-Platz, Marthaler y a créé des spectacles d'anthologie, notamment en 1993 "Murx den Europäer !" (Bousille l'Européen !),sorte de requiem pour la RDA.
Mais un cycle se termine car Castorf doit laisser la place en 2017 à un curateur et non un homme de théâtre, Chris Dercon, ex-patron de la Tate Modern de Londres, que ses détracteurs accusent de vouloir vendre l'âme du théâtre légendaire, édifié par Oskar Kaufmann en 1914.
"On nous oubliera, c'est notre sort, on n'y changera rien" chantent avec fatalisme les vétérans de la Volksbühne, dont la virtuosité a été copieusement applaudie vendredi soir à Montpellier.