Ces 16 et 17 décembre, l’Europe étudie le Plan de gestion de pêche en Méditerranée. Pour lutter contre la raréfaction de certains stocks de poissons, ce Plan préconise entre autres la réduction du nombre de jours de pêche pour les chalutiers. Mais pour l'ONG MeReAct, une autre solution existe.
Il y a d’abord le constat réalisé par les scientifiques de plusieurs pays, dont ceux du Comité scientifique et technique de l'Europe (où siègent pour la France Ifremer, l'IRD...). Constat rarement contesté par les pêcheurs eux-mêmes : 80% des stocks de poissons sont surexploités en Méditerranée depuis plus de 35 ans.
Avec certaines espèces plus particulièrement impactées : ainsi le tonnage de merlus pêchés dans le Golfe du Lion s’est effondré en un quart de siècle. Un constat confirmé lors de l’une des dernières campagnes Medits (avec les scientifiques des 18 pays du pourtour Méditerranéen) en 2019 :
Au début des années 2000, on débarquait 2 500 à 3 000 tonnes de merlus par an. Aujourd’hui il n’y a plus que 700 tonnes. Et on peut estimer qu’il y avait près de 5 000 tonnes dans les années 80 !
Et dans les merlus ramenés dans les filets, ces mêmes scientifiques relèvent peu de ces "vieux adultes" qui sont les principaux reproducteurs : l’âge maximum et moyen est plutôt d’1 à 2 ans maximum.
Pour Grégoire Certain, chercheur Ifremer spécialiste des espèces démersales (comprenez d'eaux profondes) comme le merlu, la baudroie, le rouget ou encore le poulpe, « L’indicateur est dans le rouge foncé concernant le merlu." Alors pour régénérer le stock, il faut pour lui nécessairement une décision impérative dans la gestion de la pêche :
Il faut impérativement un effort de réduction des captures. Et laisser le temps ainsi aux juvéniles de grandir. Et pour une population, l’échelle de temps est au moins 5 ans pour en ressentir un véritable impact.
Réduire le nombre de jours de pêche ?
Pour lutter contre cette surexploitation, il y a la réduction de l’effort de pêche à travers le nombre de jours autorisés. Celui-ci, au fil des décisions européennes, a baissé depuis quelques années : 11 159 jours en 2015 réduits à 7 477 en 2019 pour les chalutiers. Soit un tiers de moins en quatre ans.
Et si l’on compare avec la réduction pour l’ensemble de la flotte de pêche (134 746 jours en 2015 abaissés à 116 818 jours en 2019), c’est 13% de réduction seulement : « On se rend compte que ce sont les chalutiers qui ont le plus été impactés», constate Stéphan Beaucher de l’ONG Medreact. Et de confirmer : « Il faut 210 jours par an de pêche à un chalutier pour être rentable, or aujourd’hui la plupart ne sortent plus que 197 jours. Ils sont à la limite de leur seuil de rentabilité. »
D’où le coup de colère de la profession le 7 décembre dernier, à Port-la-Nouvelle dans l’Aude, expliquant être à la limite du nombre de jours de pêche autorisés pour la rentabilité des bateaux et pour vivre.
Pour MedReAct, il faudrait plutôt interdire le chalutage en eau profonde
En janvier dernier, avant le confinement, Stéphan Beaucher était venu présenter auprès des pêcheurs de la SATHOAN à Sète les chiffres des stocks et la proposition de l’ONG Medreact : « Personne n’a contesté que 80% des captures actuelles étaient des juvéniles. Mais ils m’ont dit « Nous on a des emprunts ! » Ce à quoi j’ai répondu « Mais demain vous avez besoin qu’il y ait encore des merlus et autres poissons pour rembourser ! »
Alors quelle solution pour provoquer une régénération des stocks si une nouvelle réduction du nombre de jours et de sorties en mer mettrait en péril une flotte et des emplois ?
L'association MedReAct préconise plutôt elle de travailler sur les zones FRA (Fisheries Restricted Areas), zones de restriction de pêche. Neuf ont été définies actuellement en Méditerranée, dont celle du Golfe du Lion, un rectangle de près de 2 000 kilomètres carrés situé à 80 kilomètres au large de Sète, 65 km de Marseille et 140 km de Barcelone.
« Malheureusement c’est la seule FRA(Zone de restriction de pêche) où le chalutage de fond n’a pas été interdit, mais seulement limité aux valeurs de 2008. Nous militons pour la fermeture de cette FRA du Golfe du Lion au chalutage de fond. », explique Stéphan Beaucher.
Dix ONG saisissent les ministres français
La demande a d'ailleurs été faite le 3 décembre dernier dans un courrier cosigné par l'association MedReAct et neuf autres associations de défense de la faune et de l'environnement (WWF, LPO, France Nature Environnement, Des requins et des hommes, Oceana, Longitude 181, DMA, SNPN et ASPAS). Destinataires : les ministres de la Transition écologique Barbara Pompili, de la Mer Annick Girardin et la secrétaire d'Etat en charge de la biodiversité Bérangère Abba.
Lettre des ONG pour interdiction chalutage en eau profonde
Dans cette FRA du Golfe du Lion, 10 bateaux ont une licence pour chaluter 170 jours par an, dont deux bateaux qui y passent à eux seuls 41 et 42 jours, les autres n’y passant que 2 à 10 jours. Donc c’est moins impactant que de réduire pour tous le nombre de jours de pêche. Il faut savoir que tout effort de chalutage de fond même minime a des conséquences multipliées et catastrophiques pour des écosystèmes surpêchés.
Premiers effets positifs constatés
Dans un rapport rendu public lundi 14 décembre 2020, la Commission générale des pêches pour la Méditerranée (CGPM) note que « 75 pour cent des stocks de poissons sont certes toujours surexploités, mais ce chiffre a diminué de plus de 10 points de pourcentage de 2014 à 2018. »
Et que « Parmi les stocks prioritaires, plusieurs ont vu leur situation s’améliorer. C’est notamment le cas du merlu européen, qui montre des signes de reconstitution en mer Méditerranée. »
De quoi inciter l'ensemble des acteurs, scientifiques, instances européennes et pêcheurs à trouver un terrain d'entente pour l'avenir de la ressource, et dans le sillage de celle-ci, par répercussion, des emplois de la filière pêche.