8 étangs méditerranéens, la plupart en Occitanie, contiennent des pesticides avec un risque préoccupant pour la biodiversité des lagunes. C'est une étude menée par l'IFREMER à Sète qui le révèle. Exemple dans l'Hérault où les chercheurs surveillent les pièges à pesticides de l'étang de Thau.
Les étangs de Canet, de Bages-Sigean, de l’Ayrolle, de la Palme, de Thau, de Vic, du Méjean, de l’Or pour le Languedoc-Roussillon plus ceux de Berre et de Biguglia. Au total, 10 lagunes sont étudiées de très près, depuis 2017 par les chercheurs de l'Institut français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer (IFREMER) depuis le centre scientifique de Sète.
Résultat : entre 15 et 39 pesticides, dont du glyphosate, y sont régulièrement retrouvés. Un risque jugé "fort" pour la santé des écosystèmes de 8 lagunes sur 10. L’étang de l’Or est la lagune où le risque lié à la présence de pesticides est le plus inquiétant. Seuls les étangs de la Palme et de Biguglia présentent un risque faible.
Des pièges à pesticides pour détecter 72 substances
C'est une étude inédite en France, initiée par l'Ifremer de Sete et qui fait aujourd'hui l'objet d'un rapport alarmant de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et l’Ifremer en partenariat avec l’Université de Bordeaux.Entre 2017 et 2019, l’équipe du laboratoire Environnement Ressources Languedoc Roussillon de l’Ifremer à Sète a traqué 72 pesticides grâce à des échantillonneurs passifs. Ces "pièges" sont capables de détecter les composés présents dans l’eau, même à très faible dose.
La suite logique d'une étude sur les pesticides dans les cours d'eau d'Occitanie
La liste des pesticides employés en France est longue...les chercheurs ont donc réduit leur étude dans les étangs de méditerranée à certains des polluants déjà détectés dans les cours d'eaux en amont." Les 72 substances suivies ont été sélectionnées parmi les 325 pesticides détectés dans les cours d’eau de la région lors d’une précédente étude," précise Karine Bonacina, directrice régionale de l’Agence de l’Eau.
Nous nous doutions que leur impact écologique devait s’aggraver en aval des cours d’eau mais nous ne pensions pas que le risque dû à leur cumul serait aussi élevé pour les écosystèmes lagunaires ».
Une étude de l'impact du cumul des pesticides inédite
Pour Dominique Munaron, le chercheur en chimie de l’environnement à la station Ifremer de Sète à l'origine de l'étude, c'est la première fois que l'on ne prend pas en compte le seul risque "individuel" d'une vingtaine de substances jugées prioritaires sur la qualité des eaux. La valeur-seuil, au-delà de laquelle le pesticide est toxique pour au moins une espèce vivante, n'est pas la même si on cumule plusieurs substances.Ici, nous avons évalué pour la première fois le risque lié au cumul de pesticides : même présents en-deçà de leurs valeurs-seuils individuelles, les pesticides peuvent voir leurs effets s’additionner et nuire au fonctionnement de ces écosystèmes lagunaires et aux organismes qui y vivent.
Les résultats de l'étude
Entre 15 et 39 pesticides ont donc été retrouvés, régulièrement, trois fois par an, à chaque campagne de "piègeage", dans 8 lagunes. Et c'est l'effet "cocktail" de tous ces pesticides qui pose problème. Aucune substance « prioritaire », n’a dépassé sa valeur-seuil au cours de l’étude. En revanche, 10 substances considérées comme "non prioritaires" l’ont franchi, occasionnant chacune un risque pour les écosystèmes lagunaires.
Deux herbicides inquiètent particulièrement les scientifiques : le s-métolachlor et le glyphosate. Ainsi, peu exposé aux pesticides, l’étang de la Palme souffre néanmoins des effets du métolachlor.
L'étang de l'Or particulièrement impacté
Dans l'Hérault, l'étang de l'Or est la lagune considérée comme la plus à risque vis-à-vis de la problématique des pesticides parmi l'ensemble des lagunes suivies. Ce risque chronique est systématiquement lié à l'effet de plusieurs substances dépassant individuellement leurs valeurs seuils.
Le Salaison et le Bérange sont deux des principaux cours d'eau qui alimentent cette lagune. D'après le rapport, au cours de la période 2017-19, ils ont fait l'objet de respectivement 27 et 9 prélèvements d'eau en vue de la recherche de pesticides. La plupart des pesticides ont été quantifiés sur le Salaison à l'exception du métolachlor, lequel a été en revanche le seul (avec les incontournables glyphosate et AMPA) à être quantifié sur le Bérange. Pour les chercheurs, la variété des usages de pesticides sur le bassin versant de l'étang de l'Or doit être considérée comme une problématique majeure pour cette lagune.
Une étude qui invalide la bonne image des lagunes
"Avant cette étude, l’état chimique de ces lagunes était considéré comme « bon » puisqu’aucun des 22 pesticides « prioritaires » suivis d’ordinaire tous les 3 ans dans le cadre de la directive-cadre sur l’eau ne dépassait sa valeur-seuil" constate Karine Bonacina.
Cette étude modifie notre regard ; elle met en lumière l’urgence de prendre en compte les cocktails de pesticides et leurs effets sur ces milieux naturels.
Pour l'instant, pas de risques pour les coquillages ni les poissons, rassure l'étude de l'Ifremer. Mais ce sont les larves ou le phytoplancton qui pourraient être impactés. De nouveaux pièges seront d'ailleurs posés en mars prochain pour suivre l'effet cocktail notamment.
Et maintenant?
Ce nouveau protocole de suivi sera donc reconduit sur l’ensemble de ces 10 lagunes de Méditerranée ces prochaines années et pourrait être appliqué à l’avenir aux lagunes et estuaires des autres façades maritimes françaises. Grâce à ces nouvelles données, les chercheurs mais aussi les acteurs de l'environnement vont disposer d’informations concrètes pour agir en amont sur les usages des pesticides qu’ils soient d’origine agricole, urbaine ou industrielle.Enquête sur l'étang de Thau de Chloé Fabre et Franck Detranchant. Pour France 3 Languedoc-Roussillon , ils ont rencontré les "piégeurs" de pesticides mais aussi les acteurs économiques concernés à cette pollution.