Une enquête ? Une introspection ? Une fiction qui rejoint le réel ? Le dernier ouvrage de l’auteur toulousain est tout cela à la fois. L’ensemble étant basé sur l’histoire vraie d’une jeune femme qui a vécu seule dans les Cévennes et la nature lozérienne pendant 15 ans.
Que cherche l’écrivain de « polar naturaliste » comme est souvent qualifié Dessaint ? Se cherche-t-il lui ou la cherche-t-il elle ? Il se dévoile comme jamais, sur ses drames familiaux, sur ce qui le constitue aujourd’hui et sur ce qui l’a amené sur ces chemins de pleine nature.
Je vois à l’ouest les gorges du Tarn, à l’est Alès, au sud le mont Aigoual, au nord Genolhac, plus ou moins ces directions cardinales mais c’est déjà beaucoup s’éloigner.
Une nature qui le pousse à se dépouiller lui-aussi, à tout dire, tout raconter, comme s’il vidait sa dernière cartouche d’encre. Alors forcément il parle beaucoup de lui, de ses états de service. Il prouve ainsi aux lecteurs qu’il n’est pas là par hasard. Il n’est pas journaliste comme ces reporters, Florence Aubenas ou Saïd Makhloufi, qui courent après « la Manon des Sources des Cévennes ». « Inconscient, je le suis certainement, sinon je ne serais pas écrivain ».
S’il était journaliste aussi, Dessaint essaierai de savoir à tout prix pourquoi elle a quitté sa famille et la société. Il chercherait à savoir comment elle affronte la solitude ou tout simplement comment elle survit, se réchauffe, se nourrit. Tout ça il arriverait bien à le savoir mais, lui, dit « ne pas vouloir lui porter préjudice ».
Au début, elle se faufilait dans les mas, les cabanes, les clèdes, les bergeries. Ça ne dérangeait pas vraiment. On laissait d’ailleurs à manger sur la table de la cuisine, ou dans les ruches-troncs spécialement aménagées, avec parfois un mot gentil. Est-ce toujours le cas ? Qui la protège ? Beaucoup encore, je pense.
Ce n’est donc pas une enquête journalistique à laquelle Pascal Dessaint veut se livrer en laçant ses chaussures de randonnées et en remplissant sa gourde. La nature reste sans doute la véritable héroïne de son récit. D’ailleurs, il mettra longtemps à interroger réellement les locaux sur le fruit de ses recherches. Pourtant ici, tout le monde ou presque la connaît.
Sur les traces de cette femme sauvage et dans cette nature luxuriante, il va retrouver de nombreux fantômes y compris les siens : un ancien villageois qui n’a pas voulu faire 14-18, des maquisards de la guerre suivante et d’autres légendes encore. Puis il a l’impression que quelqu’un le suit. Mais ça ne l’effraie pas : « mes morts me visitent souvent et ils ne sont pas méchants » écrit-il.
Mais le pire n’est pas l’abandon du matériel. Le pire c’est la perte de l’immatériel. Pour commencer, les sentiments pour autrui. Elle pourra être généreuse pour un animal, le sauver même, mais elle ne le sera plus pour un humain.
L’humain finira par la rattraper. Il en sera fini de cette liberté vertigineuse, de cette nature à la fois péril et cocon. L’humain, comme à chacun de nous, ne lui laissera pas le choix. Mais sa vie sauvage continuera à exister à travers les lignes de Pascal Dessaint.
« Une femme sauvage » de Pascal Dessaint, Salamandre.