David Mora est revenu toréer à Las Ventas un peu plus de deux ans après l'horrible blessure qui aurait pu mettre un terme à sa carrière. C'était ce mardi 24 mai. Une corrida d'une extraordinaire intensité dramatique.
Tous les aficionados de la planète connaissent déjà dans les moindres détails le déroulement de la faena de deux oreilles de David Mora à Malagueño, un excellent toro d'Alcurrucén récompensé d'une vuelta al ruedo posthume. Qu'ils aient été dans l'arène ce mardi 24 mai, qu'ils aient vu la retansmission télévisée, ou qu'ils aient lu les chroniques unaniment enthousiastes publiées dans les quotidiens madrilènes et sur les sites spécialisés, tous savent que ce fut une journée à part dans la carrière de David Mora et dans l'histoire de la feria de San Isidro.
L'ovation amicale à la fin du paseo, comme pour dire "bienvenue, nous t'attendions"; les véroniques gouteuses qui laissent penser que Malagueño pourrait être un bon toro; les piques impeccables; le quite arrogant d'Andrés Roca Rey et la réplique sereine de Mora; le brindis au médecin de l'arène. Et le début de la faena. Le toro est cul aux planches, le torero est au centre. Il va le provoquer et faire cette satanée passe cambiada qui ouvre tant de faenas ces temps-ci.
Le toro ne vient pas. David l'appelle. Les gradins murmurent. David reste au centre, appelle encore. Les gens parlent de Castella qui l'an dernier ici même donna la faena de sa vie à un toro de ce même élevage, Alcurrucén. Elle avait commencé, comme il se doit par une cambiada.
Le toro ne vient toujours pas. Il garde le cul aux planches et regarde Mora qui maintenant s'avance vers lui. Un pas. Un autre. Le runrun de l'arène s'amplifie, ça fait du bruit 20 000 personnes qui disent à leur voisin que ce toro est peut être plus important que celui de Castella l'an dernier. Que Mora est un type formidable puiqu'il a renoncé à toucher la pension d'invalididité à laquelle il avait droit pour revenir en piste; mais qu'il a tort de trop s'approcher du toro si c'est pour une passe cambiada. Que tout ce qu'il risque, c'est un vol-plané.
Le toro s'élance. Le runrun s'arrête net. Mora esquisse le geste de la cambiada. L'arène hurle d'effroi. Malagueño a renversé Mora qui est inerte sur le sable comme un piéton qui a pris en plein buffet une moto ayant brûlé le feu rouge au bas de la rue Alcalá.
Les banderilleros accourent. On verse l'eau d'une bouteille en plastique dans son cou.
Il se relève.
Il torée, quelle merveille! Chaque passe de la droite est ponctuée d'un ¡olé! profond et unanime. La fin de la première série, une simple passe du dédain, déclenche un rugissement de bonheur sur les gradins.
La suite est un autentique régal. Le toro charge avec toujours plus d'enthousiasme, le torero donne des passes toujours plus déliées. Le public est maintenant une chorale de cinglés qui hurle sa joie à l'unisson.
Regardez! Écoutez!