Les premiers romans, s’ils sont prometteurs, révèlent souvent une patte. Celle de cet ancien acteur du mouvement hip-hop, univers qu’il retranscrit en partie dans l’ouvrage, est acérée. Esthétique et glaçante aussi comme le sont parfois les graffs.
« Evanescent », dans son sens littéraire, signifie qui s’amoindrit et disparait graduellement, comme certains dessins sur les murs mais aussi comme certaines personnes. Dos Reis, lui, a déjà perdu son prénom au collège. Enfant d’immigrés portugais, il grandit en marge de la jeunesse dorée bayonnaise, celle qui se retrouve au club de tennis.
Les cheveux des enfants du Country-Club sentaient la boisson des mamans. Ils avaient dû se présenter par la tête.
L’écriture de Ribeiro est précise et irréversible comme un coup de bombe sur un mur. Elle claque comme un revers renvoyé le long de la ligne. Dos Reis retrouve ce club huppé de tennis, dont il n’était pas, mais quelques années plus tard. Le bâtiment n’est plus qu’une ruine qui sent la faillite de promoteurs immobiliers déchus.
Mon enfance s’évaporait dans une jachère où la graine de champion ne poussait plus
Les toxicos ont remplacé les garçons et filles de bonnes familles. Dos Reis vient là pour grapher mais surtout se volatiliser comme les vapeurs qui sortent des bombes de couleur. Benoît, Patrick, Florian, Abdou… Ils sont quelques ados à se retrouver là autour de leur mentor, Laurent.
Des amis, Dos Reis n’en a pas vraiment. Encore moins celui qui croit l’être, l’espace de quelques trimestres, Charles D, son voisin, seul élève du collège. Il habite le même lotissement que lui. Ses parents ont eu l’ascension sociale symétriquement opposée à celle des siens.
Chez les D, j’appris l’existence de Dieu, madame D m’enseigna également qu’il ne fallait pas manger la peau du poulet, que Les Inconnus étaient des humoristes vulgaires et que la danse de la lambada était « obscène ». Ces petites humiliations qu’un enfant ne comprend pas qui faisaient sourciller mes parents quand, en toute candeur, je leur rapportais les précieux enseignements de l’honorable famille D. Obscène. Je le trouvais beau ce mot.
Dos Reis s’enfuit donc, cap sur la Méditerranée. Lourdes, Toulouse, Narbonne, lui et ses compères de tags sillonnent le sud de la France. Petite précision Dos Reis peint, entre autres, sur des trains son nom mais qui est en fait un pseudo. Premier indice de sa propension à l’évanescence ?
Terminus à Cannes où l’on retrouve Dos Reis quelques années plus tard. Il est passé du graff au graphique. Il se retrouve à rédiger des arrêtés municipaux ou à analyser des appels d’offres : « un travail moyennement rémunéré, moyennement intéressant et supposant un niveau moyen de responsabilités ».
La vie privée de Dos Reis n’est guère plus brillante. Pour la décrire, Damien Ribeiro sort le grand jeu dans une écriture sans concession et d’un réalisme cruel. A l’image de ce que le héros pense que Hervé, son beau-père dit de lui à sa belle-mère :
Il n’est pas méchant bien sûr mais je ne sais pas ce qu’elle lui trouve, il n’a rien à dire. J’ai essayé de lui parler du fado, c’est de chez lui… Mais on aurait dit qu’il n’avait jamais entendu parler d’Amalia Rodrigues (il prononçait « Amelia Roudriguèche », remplaçant les « r » par des raclements de jota espagnole, une pointe de fierté dans la lèvre inférieure). Rodolphe, c’est vrai qu’il la trompait, mais il avait de la conversation, et c’était un très bon joueur de tennis.
Un beau-père dont Dos Reis a « de bonnes raisons de penser qu’ils se satisfaisait très bien de mon absence d’ambition et d’émotion ». Autre signe majeur de l’évanescence : savoir se diluer dans les détails. Et là aussi l’écriture de ce premier roman marque des points.
J’éprouvais de grandes difficultés à suivre la conversation tant j’étais fasciné par ma petite cuillère en argent. Elle était si lourde qu’un seul tour de tasse créait un tourbillon de café. Elle scintillait dans cette mer noire, échouée sur la porcelaine de Limoges.
Le scénario s’emballe quand Charles D ressurgit du passé et vient réveiller des souvenirs que Dos Reis cachait de tous y compris de lui-même.
Je commençais à comprendre l’origine de mon trouble et le rôle joué par cet affreux Charles D. Je sentais ce reste d’orgueil, pourtant si bien enfoui, sortir de son étui pour causer ma perte, révéler ma contre-vie alors que tout était parfaitement à sa place jusqu’alors.
Souvent également dans les premiers romans, le lecteur a tendance à chercher de qui tient le nouvel auteur ou de qui il a pu s’inspirer. Vu d’Occitanie et sans détour, nul doute que Jean-Paul Dubois ne renierait une certaine filiation. En atteste pour conclure, la description que Dos Reis fait des talents de décoratrice d’intérieur de sa femme.
A présent, je peux le dire, de là où je parle, personne ne me reprochera mon jugement. Corinne n’avait aucun talent pour la décoration d’intérieur. Tout ce qu’elle proposait était triste, fade, on aurait dit qu’elle s’acharnait à répéter, en moins bien, tout ce que d’autres avaient déjà fait des années auparavant. Sa passion pour le gris – « c’est MA couleur signature » disait-elle – ne facilitait pas les choses. Malheureusement, sa mère disposait des mêmes aptitudes si bien qu’elles illustraient toutes les limites des théories d’Hervé : quand on veut, parfois on ne peut pas. Si quelqu’un dans cette famille avait fait preuve d’un peu de lucidité, il aurait noté qu’en quatre ans d’activité professionnelle, les seuls projets qu’elles avaient eu à mener à bien étaient notre appartement, la maison des parents de Corinne et le bureau d’Hervé. Pour le reste, le carnet d’adresse d’Hervé n’avait pas suffi. On peut aimer les gens, se sentir redevable parfois, mais jamais au point de vivre dans des « pièces de vie » qui sentent autant la mort.
"Les évanescents" de Damien Ribeiro, éditions la brune au rouergue