Le 10 mars, dix des onze membres du jury du prix littéraire Walter Benjamin démissionnaient. Une décision prise suite aux écrits du président de l’association « Walter Benjamin Sans Frontières » jugés complaisants avec le programme culturel du candidat Louis Aliot à la mairie de Perpignan.
Il ne sait plus comment rattraper son « erreur ». Il le reconnait lui-même, les écrits publiés sur son blog au mois de mars dernier étaient ambigus.
Jean-Pierre Bonnel, professeur de lettres et écrivain, crée en 2015 l’association « Walter Benjamin Sans Frontières » pour rendre hommage à ce grand philosophe juif allemand, persécuté par le nazisme, qui met fin à ses jours à Portbou (commune espagnole du nord de la Catalogne, dans la province de Gérone) en septembre 1940.
L’association organise des activités et conférences autour de la pensée du philosophe notamment à Banyuls-sur-mer dans les Pyrénées-Orientales. Depuis 2017, le Prix de l’essai Walter Benjamin honore, chaque année, une oeuvre marquante.
Une phrase polémique sur le blog du président
Au début du mois de mars, Jean-Pierre Bonnel écrit sur son blog :
le rejet de l’étranger, du migrant… n’est plus dans le programme du Rassemblement National et dans la tête de Louis Aliot.
Une prise de position jugée complaisante par les membres de l’association. Dans la foulée, jean-Pierre Bonnel corrige le tir :
Je regrette fortement cette erreur qui a ému l’association et a entrainé des départs.
Malgré ses excuses publiés sur son blog, le mal est fait et le choc pour les membres du jury du prix Walter Benjamin est tel qu’ils démissionnent en bloc. Un choc qui fait suite à une première violente secousse pour ces défenseurs de la mémoire et de l’oeuvre de Walter Benjamin.
Un ex-membre du jury sur la liste de Louis Aliot
Au mois de février 2020, lorsque le frontiste Louis Aliot annonce la composition de sa liste pour les municipales sur Perpignan avec le nom d’André Bonet en 3e position, les membres du jury restent sans voix, choqués pour certains.
Président du Centre Méditerranéen de Littérature (CML) à Perpignan depuis 38 ans, André Bonet décerne tous les ans le prix Méditerranée, une référence dans le milieu littéraire. En 2019, il devient membre du jury du prix Walter Benjamin. Il est un ami de Jean-Pierre Bonnel et l’arrivée de cette figure incontournable du milieu littéraire à Perpignan, est plutôt bien vécue au sein de l’association.
Le jury compte alors 12 membres. Philosophes, réalisateurs, artiste, psychanalyste, professeurs, historien, écrivains tous ont une fine connaissance de l’oeuvre de Walter Benjamin.
Suite à son engagement politique avec Louis Aliot, André Bonet qui a déjà démissionné du CML, démissionne également du jury du prix Walter Benjamin.
Son ami Jean-Pierre Bonnel reste, malgré tout, un fidèle soutien et écrit sur son blog : « André Bonet, cet homme sympathique qui a la passion de l’amitié, a une ambition culturelle pour Perpignan. Ses propositions sont très intéressantes… ».
Les membres du jury du prix Walter Benjamin rédigent alors un communiqué de presse:
Nous considérons qu’en s’exprimant de la sorte, le président de l’association participe à la reconquête du Rassemblement National et affirmons que nous nous opposerons fermement à toute initiative et tout acte, contraires aux principes et valeurs qui ont habité la vie et la pensée de Walter Benjamin.
Création d’une nouvelle association
Les membres démissionnaires créent, durant le confinement, une nouvelle association baptisée « Prix européen Walter Benjamin » dont le président est désormais Bruno Tackels, philosophe, lui-même lauréat du «prix Walter Benjamin Sans Frontières » en 2018 :
De son côté, Jean-Pierre Bonnel se retrouve seul.
Mais le nouveau président Bruno Tackels tient à préciser qu’il ne croit pas « une seconde que Jean-Pierre Bonnel a épousé les thèses radicales du Rassemblement National ». Pour lui, « il est la victime parfaite de la nouvelle stratégie de ce parti radical, clivant et intolérant. Un parti qui après avoir mis en oeuvre une stratégie de dédiabolisation passe maintenant à une opération de normalisation, rassemblant autour de son leader des gens de bonne volonté ».
Un nouveau lauréat du Prix Européen Walter Benjamin 2020
Cette année célèbre le 80ème anniversaire de la mort de Walter Benjamin. Le jury a donc voulu marquer l’évènement en décernant deux prix au mois de mai dernier.
Le Prix Européen Walter Benjamin 2020 revient au chercheur, essayiste et traducteur, Mickaël Lowy pour son ouvrage " La Révolution est le frein d’urgence. Essais sur Walter Benjamin ", paru aux éditions de l’Eclat.
La présidente du jury, l’historienne Nathalie Raoux précise que « ce prix a vocation à « populariser » Walter Benjamin au travers de travaux à la fois abordables et exigeants qui ne sacrifient rien à la rigueur scientifique tout en restant accessibles au large public ».
Un prix spécial est également décerné à Lisa Fittko à l’occasion de la réédition de ses mémoires " Le Chemin Walter Benjamin ", aux éditions du Seuil. A travers ce prix spécial, les membres du jury rendent hommage à « une femme, une exilée, une résistante qui a contribué à extraire de la nasse vichyste, Walter Benjamin mais aussi, près de 300 personnes entre octobre 1940 et mai 1941 ».
Cet automne, une remise officielle du Prix Européen Walter Benjamin 2020 sera organisée dans la région.
Composition du jury: Alain Badia, psychanalyste, Marc Berdet, professeur Visitant à l’Université de Brasilia, Dr Madeleine Claus, docteur en littérature allemande, Dominique Delpirou, metteur en scène, Emmanuel Faye, philosophe, Jean Lacoste, philosophe, Maria Mailat, écrivain et documentariste, Hélène Peytavi, artiste, Nathalie Raoux, historienne et présidente du jury, Anne Roche, professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille, Bruno Tackels, philosophe et président de l’association Prix Européen Walter Benjamin.
Qui était Walter Benjamin ?
Né de parents juifs en Juillet 1892 à Berlin, Walter Benjamin devient écrivain, essayiste, journaliste et traducteur. Il va écrire de nombreux ouvrages sur la théologie, la philosophie du langage, le marxisme. Egalement critique d'art et littéraire, féru de romantisme, il traduit les textes de Balzac, Baudelaire, Proust, Saint-John Perse, Paul Valéry...
L'écrivain juif allemand va quitter l'Allemagne nazie après s'être rendu compte rapidement de la montée de l'antisémitisme. Exilé à Paris, il ne parvient pas à obtenir la naturalisation française et en 1939, il est arrêté et conduit au camp de Vernuche près de Nevers.
Libéré grâce au soutien d'amis intellectuels, il part en juin 1940 pour la zone Sud (Lourdes, Marseille puis Banyuls-sur-mer dans les Pyrénées-Orientales d'où il espère franchir la frontière espagnole).
A Portbou en Catalogne, désespéré, sous la menace des autorités espagnoles et par peur de se faire arrêter par la Gestapo, il prend une dose de morphine. Il meurt le 26 Septembre 1940.
Son œuvre ne sera reconnue que plusieurs années après sa mort.