C'était il y a soixante ans. Le 18 mars 1962, la France et l'Algérie signaient les accords d'Evian, mettant ainsi fin au conflit qui les opposaient. Partout dans la région, les rapatriés et les harkis se souviennent. A Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), nous avons rencontré Yves Campillo, arrivé en France en 1962, à l'âge de 22 ans.
"Nous sommes arrivés ici à quai le 26 mai 1962 après avoir fait la traversée entre Beni Saf et Alicante. Et d'Alicante, on est remontés de port en port. C'était la panique dans Port-Vendres, parce que derrière nous, ça a été un défilé de bateaux de pêche, ça venait de partout. Toute la côte partait, tout le monde partait. Dès qu'on est partis nous, tout le monde nous a suivi". A 82 ans, la voix d'Yves Campillo est un peu chétive mais cela n'atténue en rien la force de ses souvenirs.
En mai 1962, quelques mois après la signature des accords d'Evian, ce Français d'Algérie est obligé de dire adieu à ces terres qui l'ont vu naître. A 22 ans à peine. Et c'est sur le chalutier familial qu'il fait la traversée, en compagnie d'une trentaine de personnes.
30.000 rapatriés à Port-Vendres
Et ils ne seront pas les seuls à prendre la direction du Sud de la France, et plus particulièrement de Port-Vendres. 30 000 d'entre eux s'y sont réfugiés dans les mois qui ont suivi l'armistice. Une simple étape pour la plupart d'entre eux, avant de rejoindre des villes plus grandes. Mais d'autres sont restés dans le port catalan, souvent des pêcheurs venus avec leurs chalutiers et leurs lamparos (une barque utilisée pour pêcher en attirant les poissons à la surface avec une lumière).
Parmi eux, Ernest Diaz. Parti d'Arzeu, il accoste le 28 juin à Port-Vendres en compagnie de son frère : "On était en train d'amarrer. Quand 100 à 150 gardes mobiles sont montés sur le bateau. Ils nous ont fait mettre les mains en l'air, ils ont fouillé le bateau de la tête jusqu'aux pieds. Ils nous ont emmerdé par des questions, si on était de l'OAS... Enfin bref, un accueil déplorable."
Les épouses des frères Diaz finiront par les rejoindre. Les familles vivront quelques semaines sur leur embarcation, en attendant mieux. Robert Daïder, un Port-vendrais témoin de l'arrivée des pieds-noirs se souvient : "Ils se faisaient la popotte et ils dormaient sur le bateau. Les gens leur apportaient à manger, des vivres et des trucs comme ça... Ils ont été bien accueillis".
A la fin de l'été 1962, le travail reprend pour les pieds-noirs. Avec leurs embarcations, et en utilisant les techniques ramenées d'Algérie, ils se lancent dans la pêche avec leurs collègues catalans. Ils vont développer et dynamiser ce secteur d'activité. Robert Daïder se souvient : "Quand ils revenaient de la pêche, ils se réunissaient tous au café pour partager l'anisette. Voilà comment ça se passait."
Ernest Diaz tempère : "en général, on était normalement reçus. Je vais pas dire qu'on nous embrassait, c'était pas le cas ! Parce qu'on devenait leurs concurrents. Mais on était de la pêche comme eux. Il y avait ce lien. Mais le reste de la population nous était hostile".
Aujourd'hui, Gabriel, le neveu d'Ernest Diaz, est le dernier pêcheur au chalut de Port-Vendres. Comme un symbole de l'apport des rapatriés pour le port catalan.