A l’automne 1940, un épisode méditerranéen d’une intensité incroyable s’abat sur les Pyrénées-Orientales et la Catalogne espagnole. Des pluies diluviennes et des inondations dévastatrices emportent tout sur leur passage faisant une centaine de mort et des dégâts considérables. Le documentaire revient sur cet évènement, évoquant les risques et conséquences tout en posant la question : une situation pareille pourrait-elle se reproduire aujourd'hui ?
"Parfois il pleut", un film d'Arnaud Brugier à voir le jeudi 23 novembre 2023 à 22h50. une coproduction France Télévisions et les Productions de la Main Verte.
A l’automne 1940, un épisode méditerranéen d’une force incroyable s’abat sur les Pyrénées-Orientales et la Catalogne espagnole. C'est le déluge ! "En 4 jours, on a la pluviométrie de 2 années complètes" explique Nancy Meschinet de Richemond, géographe à l'université de Montpellier.
Les pluies entrainent des crues d'une ampleur exceptionnelle, qui balayent tout sur leur passage : routes, ponts, maisons, etc. De nombreux glissements de terrain viennent s'ajouter au tableau. Le bilan est effroyable : plusieurs centaines de morts (France + Catalogne espagnole) et des dégâts considérables, sans compter les nombreux sans-abri.
Ce phénomène climatique bien connu en météorologie porte le nom de "aiguat" (prononcer "aïgat" en catalan)
Qu’est-ce qu’un aiguat ?
L’aiguat est un nuage dévastateur, autrement dit, des "explosions de nuages", un des aspects les plus rudes du climat méditerranéen, habituellement réputé pour sa chaleur et sa douceur. Florence Vaysse, météorologue explique comment se forme un tel phénomène:
Gérard Soutadé, géomorphologue, explique que si dans la région des Pyrénées-Orientales, des aiguat avec un petit "a" se produisent régulièrement, un aiguat dit, majeur, comme celui de 1940, est plutôt rare.
Après recherches, les spécialistes ont constaté que les années touchées par un tel évènement sont assez éloignées, mais elles sont tout de même répétitives. En 1100 ans, 7 aiguat "majeurs" ont été observés dans le secteur des actuelles Pyrénées-Orientales : en l'an 878, en 1264, le 14 octobre 1421, le 16 octobre 1632, le 16 octobre 1763, le 17 octobre 1876 et le 16 octobre 1940.
Le mois d'octobre est la meilleure période pour le phénomène aiguat.
Gérard Soutadé, géomorphologue
Octobre 1940 : des habitants se souviennent
Le dernier Aiguat majeur a eu lieu du 16 au 20 octobre 1940. Dans le Roussillon, c’est l’apocalypse ! Par exemple : Prats-de Mollo, Céret, Vernet-les-Bains, Amélie-les-bains, la région de Perpignan, les vallées du Tech, de la Têt et de l’Agly sont dévastées. Des anciens qui ont vécu l’évènement se souviennent :
Marie-Thérèse Prudent qui habitait avec sa famille au village du Tech près de Prats-de-Mollo, se revoit encore. Elle raconte : "Les gens qui habitaient dans le bas du village nous ont dit : "Fuyons, fuyons ! Et nous, nous sommes montés plus haut".
Il pleuvait. Il y avait des éclairs. C’était la nuit. Tous les petits ravins insignifiants donnaient des volumes d’eau effrayants ! Du tech jusqu’au Mas de Cos, la route était un fleuve. C’était effroyable !
Marie-Thérèse Prudent, habitante du Tech dans les P.O.
Elle se remémore sa grand-mère quittant la maison familiale avec la caisse de son épicerie sous le bras, sa tante, emportant dans la précipitation, sa petite boite à bijoux tandis que sa mère, s'emparait du repas encore fumant.
Des inondations dévastatrices
Pour s’imaginer le volume d’eau que cela représente, Nancy Meschinet de Richemond, géographe ( Université Montpellier 3), explique :
Sur le pont de Céret, le débit estimé du Tech en 1940 est de 3500 m3 par seconde. Ce qui représente à peu près une piscine olympique…qui passe…en 1 seconde…sous nos yeux. Autrement dit, 60 piscines olympiques en 1 minute.
Nancy Meschinet de Richemond, géographe
Imaginons ce que cela donne sur plusieurs heures, et sur plusieurs jours, sachant que l’évènement s’est produit sur 4-5 jours.
Autre exemple : les précipitations dans la vallée de la Vésubie dans le haut pays niçois en 2020, qui ont été catastrophiques pour la vallée et ses habitants, ont été "4 fois moins puissantes qu’à Saint-Laurent de Cerdan en 1940".
Faut-il craindre un évènement similaire dans le futur ?
Aujourd'hui, plus de 80 ans plus tard, la mémoire reste active. Pourtant, là où certains s’inquiètent et restent vigilants, d’autres ont tendance à penser qu’un tel épisode dévastateur ne peut pas être possible aujourd’hui.
Certes, les infrastructures ont changé, évolué, se sont modernisés. Mais cela veut-il dire pour autant que le risque soit amoindrit ?
Au fil des décennies, des acteurs publics et privés comme par exemple le département, les agences de l’eau et syndicats de bassins, ont oeuvré dans le cadre du plan de prévention des risques pour protéger les habitants des vallées de ces catastrophes. Parmi les actions réalisées, des digues ont été construites ainsi que des barrages écrêteurs de crues, comme par exemple, celui de Vinça (en illustration ci-dessous). Mais cela suffira-t-il si un évènement de cette ampleur se reproduit un jour ?
Par ailleurs et comme l’explique le film, dans la région, la population n’a pas cessé d’augmenter, multipliant les habitations, comme le tourisme de masse, les résidences secondaires. Est-ce que tous les risques ont été pris en compte ? D'autre part, le réchauffement climatique n'est-il pas devenu aujourd’hui un facteur aggravant ? Sommes-nous en mesure de maitrîser l'évènement ?
Tout au long du documentaire, des archives, des témoignages et de nombreux intervenants, représentants de l'état, acteurs du territoire, élus, scientifiques, viennent étayer le propos.