Boris Patentreger, président de l’association castraise "Envol Vert", avait annoncé en novembre 2022, l’arrêt du partenariat de l’ONG avec le groupe Pierre Fabre, "premier soutien du projet autoroutier Toulouse Castres", l' A69. Il explique le lobby exercé par l’entreprise sur les élus et l’anachronisme de ce dossier. Il garde cependant l’espoir qu’un schéma alternatif supplante ce projet "d’un autre temps". Entretien.
Envol Vert est une organisation non gouvernementale (ONG) de protection des forêts, basée à Castres (Tarn). Avec le groupe pharmaceutique Pierre Fabre, l’association implante des mares, en parallèle de système agrofrestier, pour favoriser la biodiversité.. Un programme qui accompagne les agriculteurs pour planter des arbres sur leurs parcelles.
Ainsi une vingtaine de collaborateurs du groupe Pierre Fabre, souvent bénévoles, venaient planter des arbres chez les agriculteurs dans le cadre du projet "Au prè de mes arbres", porté par l’association l'Envol vert. Un partenariat qui a duré trois ans.
L'A69 : le projet de la discorde
Le 21 septembre 2022, le groupe Pierre Fabre annonce publiquement son soutien au projet d'autoroute. L’ONG contacte alors le groupe et lui fait part de son opposition :
" Nous les avons contactés pour leur dire que soutenir ce projet n'était pas compatible avec notre engagement pour la protection des massifs et tout ce qui est autour de la fonction forestière ainsi que la protection de la biodiversité de notre belle région. Et donc nous avons envoyé un courrier leur disant que s'ils continuaient à soutenir publiquement le projet, nous, on arrêtait le partenariat avec eux".
Lors de sa participation à l’émission Cash Investigation, Boris Patentreger rappelle la posture du groupe Pierre Fabre. Invité à parler des relations entre les entreprises et le secteur privé.
"Après que le groupe Pierre Fabre a confirmé vouloir poursuivre son soutien au projet autoroutier, l’association mettra alors fin au partenariat. Et donc, nous avons par la même occasion répondu par un courrier que l’on arrêtait le partenariat avec eux. Cela s’est passé fin 2022. Et depuis, le chantier avance. Malheureusement le chantier n'a pas été suspendu".
La pression du groupe Pierre Fabre sur les élus ?
Le directeur de l’association met en évidence la pression exercée par le groupe pharmaceutique sur les élus et ses salariés :
"Ils mettent en balance leur présence dans la région avec la création de ce projet. Par ailleurs, il y a pas mal d'articles qui sont publiés en ce moment concernant le fait que ce soit Pierre Fabre qui aurait réinitié le projet et poussé les élus à défendre le projet. J’ai pu parler avec le préfet ou même le président du département, M. Ramond, qui est socialiste. Et clairement, il dit que si l'autoroute ne se fait pas, le groupe Pierre-Pape va partir. Donc ils sont conditionnés à cela".
Pour les 20 ans de la fondation Pierre Fabre, tous les élus locaux et soutiens au projet de l'A69 étaient ainsi présents : Carole Delga, Bernard Carayon, Christophe Ramond et Jean Terlier dont voici un extrait de son discours au sujet de l'A69 et de l'importance de de l'action de l'entreprise tarnaise.
Selon Boris Patentreger, le groupe soutient le projet autoroutier pour des besoins de logistiques et de prestiges. Certains salariés ne soutiendraient pas leur direction par peur de représailles :
"Je pourrais vous en mettre en relation avec certains qui sont contre ce projet. Et qui préfèrent ne pas se positionner et qui craignent de perdre leur emploi s'ils se positionnent là-dessus. C'est triste comme situation".
"Déforestation à la française"
Dans des vidéos postées sur le compte X, anciennement Tweeter, de l’association, Boris Patentreger montre les avancées des travaux et explique les dégâts sur l’environnement. Selon lui il s’agit d’un "projet anachronique, inutile, voire écocidaire".
Le président de l’association parle de "déforestation à la française" :
"Moi qui fais le trajet régulièrement entre Castres et Toulouse, je peux voir et témoigner de ce qui se passe. Et donc dire qu'il s'agit de déforestation à la française. On parle beaucoup de la déforestation, on se mobilise beaucoup pour la déforestation en dehors de nos frontières, mais ça se passe de plus en plus sur nos territoires.
Il y a une étude qui le montre, en 8 ans, on a doublé le kilomètre de haies arrachées en France. On a doublé en termes de lignes linéaires de haies arrachées. Et ce qui est planté, ça ne correspond qu'à 10% de ce qui est arraché et détruit. Et l’une des raisons, c'est justement les constructions d'infrastructures comme ce que l'on peut voir entre Castres et Toulouse.
C'est une étude qui a été faite en juin par une structure gouvernementale et qui a fait ce recensement; on voit que l'on est passé de, si je ne me trompe pas, 12 000 kilomètres de linéaires de haies arrachées annuellement dans la période 2005-2015. Et entre 2015 et 2021, si je ne me trompe pas, on est passé à 23 000. Et ce qui est replanté, c'est 3 000.
Quand on sait qu'un arbre arraché ne vaut absolument pas un arbre replanté, il faudrait plutôt en planter 50 pour un arraché pour avoir la même équivalence en termes de feuillage.
L’ONG travaille sur les questions de protection de l'environnement et surtout d'agroforesterie. "Nous avons planté sur 3 ans d'intervention, 119 hectares de systèmes agroforestiers. Avec le projet d'A69, on va tourner autour de 300 à 400 hectares de terres qui vont être bitumées".
Paradoxe de la situation
L’association est financée par la Région Occitanie et a travaillé avec le Groupe Pierre Fabre :
"Cela nous questionne sur notre impact. On a travaillé avec eux, Ils ont mobilisé leurs salariés pour pouvoir planter des arbres. Et derrière, ils ont soutenu le projet autoroutier, c'est un des principaux soutiens de ce projet.
Quand on voit le soutien de Carole Delga à ce dossier, on ne comprend pas que l'on puisse à la fois soutenir certaines initiatives d’un côté et détruire des terres de la sorte, sachant qu'il existe des alternatives".
L’espoir
Comme les autres associations mobilisées contre ce projet autoroutier, le président de l’association met tous ces espoirs dans la réunion qui se tiendra demain à Paris rue de Grenelle au siège des régions de France, mardi 3 octobre à 9H30, avec Carole Delga, la présidente de la Région Occitanie. Ce rendez-vous résulte d'une demande de la part des collectifs GNSA et la Voie est Libre.
Il espère que le chantier soit stoppé le temps que les recours soient jugés et que la proposition alternative "Une autre Voie" soit réellement étudiée. "Un projet de vélo-route qui remotive les troupes".
"J'avoue que c'est ce qui a remobilisé tout le monde et qui est vraiment très fort, et je pense qu'il faut vraiment parler de cette alternative qui est proposée par des jeunes. Une soixantaine de personnes a travaillé dessus mais c'est surtout porté par quelques jeunes paysagistes de la région de Castres et qui ont ce projet "d'une autre voie", et qui est fabuleux, ça serait la première vélo-route entre Castres et Toulouse".
L'idée dans ce projet est de rénover cette route existante, d’augmenter les transports en commun et d'avoir aussi toute une bande d'agroforesterie à la place de l'autoroute actuelle.
"C'est vraiment très inspirant, et ça pourrait être très innovant! Je trouve que si un groupe comme Pierre Fabre, ou la région, ou même le gouvernement peuvent défendre un tel projet, cela serait magnifique.
Et tout cela, ça donne de l'espoir à tout le monde, dès que ce projet est partagé aux gens du Tarn ou ailleurs, ils trouvent que c'est une excellente idée".
Il rappelle que le projet actuel est un projet d’un autre temps :" faire une autoroute qui s'arrête à Castres, chère, et qui va bitumer 400 hectares, c'est un projet d'il y a 30 ans. Et là, il y a une alternative, construite par les citoyens,qui je pense serait une super porte de sortie."
La mobilisation se poursuit
La position de Carole Delga est "une erreur politique" selon lui, "tous les soutiens le disent. Et franchement, je ne comprends pas Carole Delga, vraiment. Parce que d'un autre côté, elle réalise des projets intéressants, elle pourrait être la première présidente de région à soutenir une vélo-route au niveau national, ce serait une porte de sortie incroyable. Je pense que ce serait quand même un peu plus grand politiquement que de dire qu'on continue coûte que coûte.
Ce week-end, les opposants au chantier étaient à nouveau mobilisés. À l’heure actuelle, 13 personnes poursuivent leur grève de la faim
"Il risque d'y avoir peut-être des grévistes qui vont mourir d'ici là. Les gens vont jusqu'au bout. Je les ai vus samedi encore, ils sont déterminés. Ils ne sont pas en bonne forme pour certains."
Contacté, le groupe Pierre Fabre n'a pas réagi concernant la fin du partenariat avec l'ONG mais nous a communiqué un courrier en réponse à la lettre ouverte du collectif "La Voie est Libre", le 22 septembre 2022. Une lettre dans laquelle Eric Ducournau, directeur général du groupe Pierre Fabre, réaffirme son soutien au projet.
"Nous soutenons avec force le projet de I' A69 car il a fait l'objet d'une consultation large et loyale des acteurs du territoire. Le projet est le résultat d'échanges et de consultations menés sans discontinuer depuis 20 ans sous la responsabilité de l'État avec toutes les forces vives du territoire, y compris les associations de défense de l'environnement. L'entreprise Pierre Fabre a été consultée au même titre que les citoyens concernés et les centaines d'autres entreprises du territoire. Comme chacun le sait dans le Tarn, un très large consensus existe en faveur du projet, qui a été reconnu d'utilité publique en 2018 à l'initiative du Ministère de la Transition écologique".