Un parcours législatif long et dense. Des débats houleux souvent, violents parfois mais riches aussi. Et malgré les heurts, une avancées des droits individuels. La France en reconnaissant le mariage et l'adoption pour tous, permet à une part de ses enfants d'être des citoyens.
"Voilà, c'est terminé. Il reste encore le temps de la cicatrisation... Ça peut être encore un peu douloureux" a dit, non sans un un vrai sens de l'à-propos, le dentiste hier soir à une de mes amies. Car c'est vrai, cela faisait des semaines, des mois qu'une dent l'a faisait abominablement souffrir. Et les traitements symptomatiques n'y faisaient rien.
Une souffrance et une évolution bien plus synchrones avec ce que des milliers de femmes et d'hommes ont vécu depuis septembre jusqu'à un peu plus de 17 heures hier que métaphorique. L'adoption par l'assemblée hier du texte de loi ouvrant le mariage et l'adoption aux personnes de même sexe, et de manière conforme à l'écriture issue de l'examen au Sénat vient clore le processus législatif de ce projet. Un processus qui tient du vrai parcours du combattant. Avec ses plaies, ses bosses, ses bleus à l'âme et ses gueules cassées. Au sens propre.
Un débat violent
Il faudra le temps de la cicatrisation, c'est vrai. Nombreux sont ceux qui comme Monsieur Jourdain avec ses vers sans le savoir, vivaient une vie normale. Ou presque. Sans se cacher, en couple, des milliers d'hommes et de femmes dont je suis avaient fini par oublier -ou presque- qu'ils était vécus comme différents. La force de la vie, l'héritage des luttes passées et des combats personnels pour sortir du placard, la preuve du quotidien immergé parmi le modèle dominant, dans les villes mais aussi les villages, leur permettaient une existence sans heurts -ou presque-. Des vies que l'on pouvait croire ordinaires. Une image lisse -ou presque- qui cachait mal néanmoins la sensation communément partagée d'être des sous-citoyens. Elles et ils avaient parfois des enfants, les élevaient. Ils et elles pouvaient être soumis et payer leurs impôts plein pot comme bien d'autres prélèvements alors même qu'à côté d'eux les voisins voyaient dégrever leurs montants ; ils faisaient "comme si" dans tous les secteurs de leur vie, -ou presque. Certains, convaincus qu'une minorité doit subir, d'autres plus volontaires et revendicatifs... Si aucun néanmoins n'oubliait la discrimination patente et ancrée, tous essayaient de faire avec -ou presque. Mais dans leur immense majorité, toutes ces femmes et tous ces hommes, n'imaginaient pas devoir subir ce qu'ils ont vécu, entendu depuis le début de ce débat. Car débat il y eut n'en déplaise à ceux qui continuaient hier à la tribune de la représentation nationale à dire le contraire. Être à nouveau montrés du doigt, insultés, raillés. Traités de pédés, de sous-hommes, de sales gouines. Etre niés, attaqués quant à leur moralité, leur supposée absence de valeurs, ou associés à toutes les perversions. Quand ce n'était pas décriés, attaqués, molestés, et tabassés pour quelques uns. Il y a bien longtemps qu'une minorité n'avait pas subi un tel traitement, ouvertement en France.Découvertes de belles âmes
La loi Taubira, qui doit encore passer devant le Conseil Constitutionnel (le recours a été déposé par la droite en fin de journée mardi) s'inscrit dans la lutte contre toutes formes de discrimination. Elle est une étape sur le chemin du combat pour les libertés individuelles. Avec en son cœur comme le dira Marie-George Buffet "une exigence d'égalité". Un texte fondateur, non une loi pour une minorité. "Une loi qui fait vivre la devise française Liberté Egalité, Fraternité" ajoutera Bernard Romand dans son explication de vote pour le PS.Sans trop investir sur la décision des 9 Sages, il est maintenant à attendre les premiers mariages à la mi-juin.
Sans être définitif, il est à craindre que cette conquête laissera des traces chez certains. Avec un avant et un après. Pour la génération dont je suis qui s'est battue pour ses suivantes. Pour ceux qui ont encore le temps. Pour ceux qui arrivent et dont le combat quotidien -c'est un voeu cher- sera moins douloureux, moins fait de choix, d'abandon, de reniement.
De belles âmes se seront révélées au plus grand nombre. À la cohorte des grands noms des avancées des droits, à la suite de Veil, Halimi, Badinter, s'ajouteront ceux de Taubira la flamboyante, la rageuse qui défend "les peu, les gueux", mais aussi de Bertinotti.
Tandis que dans d'autres régions du monde on s'offre des fleurs au Parlement qui réussit la concorde (Nouvelle Zélande), Il sera sans doute ardu d'effacer les propos haineux relayés, attisés, suscités. Pardonner peut-être mais difficile sera d'oublier l'attitude de certains (ir)responsables politiques et leur tentative d'utiliser les plus vils instincts ou réflexes d'un petit nombre de nos concitoyens, d'attiser les peurs et les tentatives de repli sur soi. De se servir de ce sujet qui traite de femmes, d'hommes, d'enfants à des fins politiques. Ce faisant, d'avoir foulé enfin aux pieds l'ouverture et l'idée même d'autrui dans sa singularité portée par l'esprit de la démocratie.
Mardi 23 avril à 17h15, grâce à la représentation nationale avec 331 voix pour, la générosité, l'ouverture aux autres, les principes et les valeurs mêmes de la république laïque se sont trouvés renforcés.
Christiane Taubira, visiblement émue, dans son intervention de clôture se tournera d'ailleurs vers les plus jeunes portant ce discours.