Le pari est ambitieux: revisiter "Le Capital" de Marx, monument de la pensée politique édité en 1867, sur le mode de la comédie "pure, dure", selon les mots de Sylvain Creuzevault, qui met en scène "Le Capital et son singe" au Théâtre de la Colline.
Les spectateurs sont assis de part et d'autre de la scène, où les acteurs débattent autour de simples tables, de celles où les révolutionnaires s'attablent des heures dans la fumée des cigarettes. La scène s'ouvre sur un monologue cocasse où le même acteur prodige (Arthur Igual) incarne Freud, Brecht et Foucault débattant autour de boîtes gigognes. Le spectateur est soit séduit, soit ... complètement perdu, et ça ne va pas s'arranger.
Dans une précédente pièce créée en 2009 ("Notre terreur"), Sylvain Creuzevault s'attaquait à la révolution française avec bonheur, toujours selon le même principe de création collective, à partir d'improvisations avec ses acteurs. Mais le sujet est ici autrement ardu, et le fonds de connaissance du spectateur plus flou. Pour beaucoup, Raspail et Louis Blanc ne sont que des noms de stations de métro, tandis que Robespierre fait partie de l'imaginaire populaire.
Deux grands épisodes jalonnent la pièce: en mai 1848, Blanqui, Raspail, Louis Blanc débattent de la conduite à mener face à la République, alors que la gauche vient d'être évincée du gouvernement, et bientôt trahie. Faut-il prendre les armes? Combattre avec les idées?
Un saut dans le temps, et nous voici en 1919. La Ligue spartakiste, menée par Rosa Luxembourg et et Karl Liebknecht, prône une radicalisation. Un soulèvement, qu'elle juge prématuré, est lancé et échoue. Rosa Luxembourg est assassinée par la police et son meurtre déguisé en accident.
Au fil des épisodes, les acteurs décortiquent les grandes notions marxistes, de la "valeur marchande" à la "valeur d'échange", sans jamais se prendre au sérieux. Blagues, chansons, improbable présence de Lacan et Freud au milieu des débats de 1848 sauvent la pièce de toute prétention professorale, au risque toutefois de brouiller le message.
Fausse comédie, ce "Capital et son singe" est bel et bien une réflexion sur la politique, la gauche et le pouvoir, sujets ô combien d'actualité. L'ouvrier décrit par Marx est devenu un consommateur avide d'IPhones dernier cri, mais n'en est pas moins aliéné. "Gare à la revanche, quand tous les pauvres s'y mettront", fredonnent les acteurs dans le final, entonnant "La semaine sanglante", célèbre chanson sur la Commune de Paris.
"Le Capital et son singe" est donné dans le cadre du festival d'Automne à Paris, jusqu'au 12 octobre à la Colline puis en tournée en France et en Belgique.