Quatre ans après la mort d'Adama Traoré suite à son interpellation dans le Val-d'Oise, deux témoins majeurs devraient être entendus en juillet. Cela faisait quatre ans que la famille du jeune-homme demandait ces auditions. Assa Traoré, sa sœur, parle aujourd'hui de "victoire".
Cela faisait 4 ans que la famille Traoré demandait en vain l’audition de ces deux témoins clés. Celle d’un homme de 38 ans chez qui Adama Traoré s’était réfugié après avoir échappé à une première interpellation dans une rue de Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise) le 16 juillet 2016. Il avait été entendu une première fois par les gendarmes mais jamais par les juges d’instruction en charge de l’affaire. Il devrait finalement être convoqué en juillet, tout comme une femme qui était également présente au moment de la première interpellation avortée du jeune homme. Une avancée majeure dans ce dossier, une "victoire" pour Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré, à l’origine du rassemblement qui a réuni plus de 20 000 personnes mardi soir à Paris.
On criait au déni de justice, les juges ont pris acte. C’est un coup de théâtre. Jusqu’à présent, on ne nous entendait pas. Preuve que la mobilisation a porté ses fruits et a permis d’accélérer les choses…
La jeune femme espère à présent qu’une reconstitution, également réclamée depuis des années, va être prochainement organisée. "Si les juges continuent sur cette voie, il n’y a pas de raison qu’elle ne se fasse pas. S’ils n’ont pas peur de la vérité, alors allons-y. Sinon, c’est nous qui allons nous en charger. Nous avions déjà prévu de faire notre propre reconstitution."
Les auditions se dérouleront en présence de l’avocat de la famille, Maître Yassine Bouzrou, qui s'en félicite. "Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il s'agit de témoignages importants qui auraient dû être réalisés depuis longtemps." Mardi, l'avocat avait versé au dossier une contre-expertise indépendante, réalisée par un professeur de médecine interne d'un hôpital parisien. Selon ce rapport, le décès d'Adama Traoré résulterait du plaquage ventral exercé par les trois gendarmes. "Dans la mesure où les juges d'instruction décident ces auditions au lendemain de la réception de cette expertise médicale, nous pouvons considérer qu'elle a peut-être clairement influencé les juges d'instruction et ainsi relancé l'information judiciaire. Ces auditions, qui n'ont jamais été réalisées et qui vont l'être après quatre ans, démontrent bien qu'il y avait un déni de justice et ça permet de voir, de constater que le rassemblement pacifique, afin de dénoncer le déni de justice, était plus que légitime."
L'avocat des gendarmes, Maître Rodolphe Bosselut, dénonce de son côté un emballement médiatique autour de cette affaire depuis une semaine. Pour lui, les faits autour du décès d'Adama Traoré ont déjà clairement été établis. "C'est quelqu'un qui au moment où il est interpellé tente de s'échapper en se cachant, en étant allongé derrière un canapé entouré dans une couverture. Sauf qu'il ne répond pas aux injonctions. Il ne veut pas se laisser interpeller. Et il garde ses deux mains sous son corps. Il a donc fallu dégager la main droite et la main gauche pour les menotter dans le dos. Ça s'appelle un contrôle costal dorsal qui ne nécessite pas d'être sur la personne ni même d'appuyer sur cette personne, simplement de dégager un bras puis l'autre. Et comme il se débattait, quelqu'un tenait les jambes mais il n'y a pas eu de compression thoracique.
Il n'y a eu d'ailleurs aucun geste de violence, aucune trace de violence constatée sur le corps d'Adama Traoré dans les expertises médico-légales
Le message polémique du directeur de la gendarmerie
Maître Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille Traoré, a par ailleurs demandé ce jeudi le désaississement de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) chargée de l’enquête. Suite à un message que Christian Rodriguez, le directeur de la gendarmerie, a publié mercredi sur son blog à l’intention des 100 000 gendarmes qu’il dirige. Au lendemain de la manifestation organisée devant le tribunal de Paris par le comité "La Vérité pour Adama", Christian Rodriguez, le directeur de la gendarmerie nationale, y affirme "tout son soutien et toute sa confiance aux gendarmes mis en cause dans le décès de Monsieur Adama Traoré". Le directeur a également rappellé que "l’intervention de nos camarades s’est faite dans un cadre légitime et sous la direction des magistrats".
L'avocat de la famille Traoré affirme qu'à travers cette lettre, "Christian Rodriguez exerce une pression sur les enquêteurs de l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN)" qui est sous sa haute autorité. Car il exprime "sa position sur l'information judiciaire en cours et sur le défaut de responsabilité des gendarmes". Il est "impossible", selon lui pour l'IGGN "de conduire cette procédure avec l'indépendance indispensable à la réalisation d'une enquête effective". Sollicitée, la direction de la gendarmerie n’a pas souhaité s’exprimer.