Paris Games Week 2023 : "dextérité, stratégie, capacité de décision: il faut valoriser les compétences des gamers"

Formation, structuration de la filière e-sport, accueil de la Karmine Corp aux Arènes d'Evry: Michel Bisson, le président de l'agglomération Grand Paris Sud, a sur son bureau plusieurs dossiers liés au jeu vidéo. Alors que la Paris Games Week ouvre ses portes mercredi à la Porte de Versailles, Michel Bisson fait le point sur ces dossiers.

Michel Bisson, vous avez lancé la formation "Level-up" et vous développez la notion de "ejouer": pour quelles raisons? 

Nous nous sommes engagés dans une nouvelle politique sportive qui comporte un volet sport apprenant à l'école, sport santé et sport numérique. Le sport numérique cible bien sûr les jeunes parce que c'est une pratique totalement démultipliée auprès d'eux. C'est important d'accompagner à la fois des jeunes décrocheurs et nous avons mis en place au printemps dernier un dispositif "level-up" avec une douzaine de jeunes que nous avons capté à travers le jeu et la valorisation des compétences qui sont acquises par le jeu. Nous les avons remis dans un circuit de formation de trois mois pour leur permettre ensuite de reprendre un parcours. C'est aussi vrai pour les "accrocheurs", ceux qui n'ont pas de difficultés scolaires et qui suivent un parcours de formation normal.  Cela permet de valoriser la culture numérique, scientifique et c'est aussi dans un objectif d'égalité fille/garçon car aujourd'hui il y a trop peu de filles qui s'engagent dans un parcours scientifique. 

De la même manière qu'il y des politiques publiques comme le savoir nager pour éviter de se noyer ou le savoir rouler pour apprendre à faire du vélo, nous avons imaginié le savoir "ejouer". Il y a un objectif de prévention de surexposition aux écrans et aux jeux pour éviter les risques de surpoids, de harcélement et de repli sur soi. Cela permet aussi de valoriser les compétences acquises par le jeu comme la dextérité, la capacité à décider seul ou collectivement, la stratégie et le tout avec une réactivité énorme car les choix doivent être faits quasiement dans la seconde. Ce sont des compétences hors radar de l'Education nationale et pourtant elles sont très utiles dans la vie et pour les entreprises. Le jeu obéit à une logique différente de celle de l'Education nationale qui est inductive (on a un cours théorique puis on passe aux exercices pratiques) alors que quand on joue, on est dans de la déduction en permanence. On se trompe une, deux, trois fois et on apprend, sans forcément lire la notice des jeux! Ce sont des logiques pédagogiques différentes mais complémentaires. 

" Ce sont des compétences hors radar de l'Education nationale (...) Quand on joue, on est dans de la déduction en permanence. On se trompe une, deux, trois fois et on apprend, sans forcément lire la notice des jeux!"

Michel Bisson, président Grand Paris Sud

Les Arènes d'Evry vont accueillir la Karmine Corp (équipe de e-sport) fondé par Kameto, un des plus célèbres joueurs de esport. C'est un autre axe de développement du numérique?

Nous avons trois leviers dans notre politique numérique: la politique publique savoir e-jouer, trouver des lieux de regroupements de formation où faire rentrer le jeu (tiers lieux, médiathèques, etc...) et enfin avoir une grande salle aux Arènes où nous avions décidé il y a plus d'un an de pouvoir accueillir des événements de e-sport et nous avons équipé la salle en conséquence. Nous avons eu la chance de rencontrer la Karmine et j'ai été bluffé. Nous nous sommes retrouvés autour de valeurs communes. Je pensais qu'ils allaient me parler jeu et finalement leur premier propos a été de dire "nous sommes là pour changer le monde". Et à la question "comment vous faites?" la réponse a été "nous créons une communauté autour de valeurs pour que les jeunes aient confiance en eux-mêmes tout en developpant des valeurs humaines en luttant contre l'homophobie, le racisme, le harcélement en se servant du e-sport." 

J'ai eu le plaisir d'assister notamment à la compétion KCX3 à la  Défense Arena et l'événement organisé à Bercy et par deux fois les jeunes, le kop de l'équipe, ont spontanément chanté la Marseillaise alors que personne ne leur demandait et que ce n'était pas une équipe française contre une équipe étrangère. J'en ai eu des frissons. Et quand j'ai regardé le public, on trouve bien des jeunes entre entre 15 et 35 ans issus de quartiers bourgeois ou populaires. Il y avait un joyeux mélange, de la mixité, et c'est je crois un phénomène assez nouveau. Par ailleurs, la Karmine a besoin d'amplifier son rayonnement et pour cela elle a besoin de légitimer la filière e-sport. Cela passe par un ancrage territorial pour ne pas rester une communauté flottante. 

Que reste-t-il à développer dans e-sport?

Le e-sport et le gaming ne sont pas structurés aujourd'hui. Il n'y a pas de modèle économique complétement assis. L'essentiel des bénéfices vont aux éditeurs de jeux mais il y a certainement besoin d'en prendre une partie pour financer les politiques publiques. Pour prévenir les risques et valoriser les compétences acquises par les joueurs par exemple. Les droits TV aussi permettrait aux communautés d'avoir des fonds pour fonctionner. Avec la Karmine Corp nous aimerions aussi que le spectacle e-sport bénéficie d'une TVA à 5,5% comme les événements sportifs et culturels et non de 20%. Cela fait l'objet d'un avenant à la loi de finance. C'est une demande portée par des députés. Il faut aussi développer des formations nouvelles pour développer du jeu, pour coacher, car si on crée des lieux cela crée des métiers. Il y a toute une filière économique qui se développe. C'est un domaine passionnant même si on est dans une société qui n'a pas encore totalement compris de quoi il s'agit.

Vous êtes président du Grand Paris Sud et maire de Lieusaint. Qu'est-ce que le esport a changé dans votre manière de faire de la politique?

Je suis en train de revoir toutes les politiques de démocratie locale à l'aune de ce que la Karmine a éveillé en moi: je travaille par les communautés. J'ouvre tout, je réveille le pouvoir d'agir des gens mais sous forme de communauté. C'est vrai pour la culture, pour l'éducation par exemple. Pour être concret, la programmation culturelle se fait maintenant avec les habitants. C'est un mouvement précurseur de ce que sera à mon avis la société de demain, beaucoup plus horizontale que verticale.