Aujourd'hui 69 promoteurs sont signataires de la charte "un immeuble, une œuvre". Objectif : commander une œuvre d’art lors de tout nouveau programme de construction. Un succès qui réjouit organisateurs, acteurs fonciers, artistes et habitants qui témoignent.
L'œuvre est immense. Elle fait trois mètres de haut. "J'ai voulu que les gens puissent passer à travers la sculpture en courant ou à vélo. Il y a vraiment cette idée de jeu, de pouvoir jouer autour de cette œuvre", explique Ilona Mikneviciute qui expose à Romainville en Seine-Saint-Denis. Pour l'artiste, la relation entre l'œuvre, son lieu de vie et les habitants est essentiel. Son installation, Le Palétuvier, est un lieu de passage, une composante de la vie du quartier.
Née 1981 en Lituanie, l'artiste Ilona Mikneviciute, est arrivée en France en 2000. Elle vit et travaille à Romainville en Seine-Saint-Denis. Son œuvre, "Le Palétuvier", pour Pitch Promotion et Vinci Immobilier, en acier inoxydable s'enracine devant l'immeuble et s'expose aux habitants et aux passants.
Les gens se sont appropriés l'œuvre et c'est super, car c'était ça le but de cette création.
Ilona Mikneviciute, artiste
"Je me suis rendue sur le lieu de la construction et je l'ai conçue pour l'endroit, le parc Simone Veil. Je l'ai construite dans mon atelier et après elle a été démontée en pièces détachées et remontées sur place. Mon atelier n'étant pas loin, c'était pratique. Du coup, j'ai été contacté par les habitants. Le public m'a fait beaucoup de retour. Les gens se sont appropriés l'œuvre et c'est super, car c'était ça le but de cette création. Comme je travaille aussi avec des jeunes de la ville en zone d'éducation prioritaire, j'ai beaucoup de retours de leur part aussi et pour eux, je suis devenue un peu la référente de ce qui est la création et l'art ", raconte Ilona Mikneviciute, enthousiaste.
"L'art, on le rend accessible en étant proche des gens et en pensant à eux en le créant", précise-t-elle. "C'est très important pour moi de rencontrer le public, moi-même, je viens de banlieue et je sais ce que c'est et je sais que l'art tire vers le haut. C'est le message et la base de mon travail en fait. Quand les gens réalisent que c'est pour eux, ils se disent qu'eux aussi peuvent accéder à l'art et que ce n'est pas uniquement réservé à une élite."
3e édition d' "1 immeuble, 1 œuvre d'art"
Démarré avec 13 acteurs de l'immobilier qui ont signé la charte, 1 œuvre, 1 immeuble, le 16 décembre 2015, cette 3e édition apporte plus de 500 œuvres dont 200 en Île-de-France. "C'est un programme qui rencontre un très fort écho dans le monde de l'immobilier et partout en France, car une œuvre sur deux est commandée hors Île-de-France. On souhaitait que ce programme ne soit pas uniquement un programme parisien, car l'objectif du programme, c'est de diffuser l'art au plus grand nombre" explique Arthur Toscan du Plantier, Président du Club 1 immeuble, 1 œuvre.
69 promoteurs ont rejoint l'aventure d'1 logement, 1 œuvre pour cette 3e édition. Un chiffre qui croit depuis le lancement de ce programme initié par le ministère de la culture. "Aujourd'hui, on a des bailleurs sociaux qui ont rejoint le programme comme Toit et Joie de la banque postale. On a un programme qui se diversifie par rapport aux acteurs de l'immobilier, mais aussi sur la typologie des œuvres. Par exemple, on a intégré toutes les œuvres et toutes les fresques réalisées sur les palissades pendant la réalisation des chantiers. Et pourquoi ça ? Car on s'est rendu compte que l'art constituait un trait d'union entre le programme immobilier et les riverains. C'est vraiment une première étape du dialogue qu'on va instaurer, entre le programme immobilier, et le territoire où celui-ci va s'installer", rajoute Arthur Toscan du Plantier.
Sarah Partouche, Responsable de la Fondation Demain la ville chez Bouygues Immobilier partage tout à fait cette analyse. "Nous, Bouygues Immobilier, nous avons signé la charte en mars 2021 d'un immeuble, une œuvre. On intervient dans l'ensemble de la chaîne de valeur de l'immobilier, c'est-à-dire de l'aménagement à l'exploitation en passant par la promotion ce qui fait qu'on a différentes casquettes, car notre métier est de construire des lieux de vie qui prennent en compte tous les usages à toutes les échelles, que ce soit des logements, des bureaux, mais aussi des quartiers et donc la représentation des œuvres d'art s'applique à tous ces supports", explique Sarah Partouche.
L'art et le calendrier des constructions ne sont pas toujours compatibles
Sarah Partouche, Responsable de la Fondation Demain la ville chez Bouygues Immobilier
"D'autant que Bouygues Immobilier est un acteur majeur et a toujours soutenu l'art et ce bien avant d'avoir signé la charte 1 immeuble, 1 œuvre et a toujours été dans une démarche artistique", rappelle Sarah Partouche. " Aujourd'hui on a acquis 12 œuvres dans le cadre du programme, 1 logement, 1oeuvre, mais il faut aussi rappeler que l'art et le calendrier des constructions ne sont pas toujours compatibles."
"Par exemple, l'année dernière le quartier de Nanterre, Cœur université, a été livré, dans lequel a été mis en place toute une démarche artistique démarrée en 2015 jusqu'à la livraison du programme et où trois œuvres sont référencées, mais elles ne peuvent pas être rattachées au programme "un immeuble une œuvre" et pourtant la démarche artistique a été très large avec dès le départ une démarche éphémère sur un chantier avec des collectifs d'artistes.
"C'est notre ADN l'art", précise-t-elle. "Nous sommes des acteurs actifs de la fabrique de la ville qui place la vie au cœur de ses projets alors quoi de plus naturel pour nous que d'œuvrer en faveur de l'accès à l'art, de l'art comme vecteur de lien social et également de participer et d'encourager les artistes et la création contemporaine. On a eu des fresques murales, des fresques au sol, des sculptures dans différents matériaux, des installations lumineuses comme celle à Issy-les-Moulineaux de Yann Kersalé. Le public accueille toujours nos œuvres avec enthousiasme surtout quand il a été associé au choix. Nous avons que des retours positifs" se réjouit Sarah Partouche.
Le public associé au projet
Pour Michèle Attar, Directrice Générale de Toit et Joie du Groupe Poste Habitat, ce programme ne peut être bien perçu par le public, seulement si on l'associe à ce projet. "Je ne crois à l'intégration d'une œuvre uniquement plaquée, je pense que les habitants ont besoin de s'intégrer au projet, dans une thématique pour pouvoir s'intéresser à l'œuvre en elle-même. Nous, c'est notre philosophie à Toit et Joie. L'art est rassembleur et partout, il peut être vecteur de projet", explique-t-elle.
Je ne crois à l'intégration d'une œuvre uniquement plaquée, je pense que les habitants ont besoin de s'intégrer au projet.
Michèle Attar, Directrice Générale de Toit et Joie
Une fresque a été installée à Vanves, une autre géante fresque a été réalisée aux Andelys dans l'Eure, aux portes de l'Île-de-France et de la Normandie, avec la participation des habitants qui ont choisi la thématique de l'œuvre : "Tout le travail se réfère à Nicolas Poussin, enfant de ce village, et ce sont les habitants qui ont réalisé tous les travaux de recherche sur lui et qui ont abouti à cette immense fresque sur quatre murs immenses. L'artiste a réalisé cette fresque l'été sous leurs yeux et les habitants étaient là en permanence en train de découvrir la réalisation en direct de cette œuvre", se souvient Michèle Attar. Et de poursuivre : "Les habitants sont ravis et très respectueux de ces œuvres. Rien n'est abîmé."
Et d'ajouter : "L'œuvre la plus spectaculaire, c'est celle d'un lion qui est gigantesque et tout en bois à Saint- Michel-sur-Orge dans l'Essonne. Il fait presque deux étages et il a été conçu à partir d'une thématique imaginée par les enfants qui voyaient arriver depuis la forêt, un lion. Ils ont participé à l'élaboration de ce lion avec l'artiste. Trois ans après, ce lion est toujours aussi impeccable dans son bois couleur clair et aucune dégradation n'a été constatée tellement les habitants en prennent soin. C'est devenu un peu leur repère et on vient même faire pousser des plantations autour. C'est devenu un lieu incontournable." Vous pouvez taper 'le lion des Genêts' sur le GPS Saint-Michel-sur-Orge, la route est toute tracée", dit fièrement Michèle Attar.
"Notre ambition maintenant serait d'insérer ce dispositif d'une œuvre dans l'acte de construire que ce soit dans du neuf ou dans de la réhabilitation. L'idée serait de demander dès le départ à l'architecte de voir quel type d'œuvres pourrait être intégré et ensuite demander le concours des artistes pour cette réalisation par exemple. Ça pourrait aussi bien de l'artisanat d'art comme demander à un verrier d'installer un bel éclairage, ou des vitraux sur une porte, voilà nos réflexions actuelles", rajoute la Directrice Générale de Toit et Joie.
Le regard de l'artiste Caroline Corbasson
L'idée d' un immeuble, une œuvre, c'est évidemment de soutenir la création artistique. "Dès le projet arrêté, il y a un dialogue qui s'instaure entre le promoteur immobilier, l'architecte et l'artiste. Il y a une correspondante très étroite entre le projet immobilier et l'œuvre qui va s'inscrire à l'intérieur pour des raisons architecturales, mais aussi pour des raisons d'espaces où cette œuvre va prendre place. Ça peut être une œuvre dans des parties communes, sur des murs, une sculpture à l'entrée de la résidence, dans des parkings. Bref elles peuvent être ex-situ comme in situ. L'intérêt ex-situ, c'est qu'elles ne sont pas uniquement réservées aux résidents , mais aussi aux passants", éclaire Arthur Toscan du Plantier le Président du Club 1 logement, 1 œuvre.
Caroline Corbasson expose à Paris. Née à Saint-Etienne en 1989 , l'artiste vit et travaille à Paris. "Pour ce projet, 1 immeuble, 1 œuvre, j'ai été invitée avec deux autres artistes à faire des propositions. En fait, c'est un mini concours et il y a un lauréat. J'ai été choisie. On doit faire une proposition qui est cohérente avec l'immeuble en question. Je me suis rendue en repérage. Le premier promoteur, c'était Emerige , le 2ème c'est Nuveen, pour qui je prépare une troisième œuvre en ce moment", explique-t-elle.
"Ma première œuvre est à Clamart. L'œuvre Spin est une sculpture qui représente une géante toupie qui aurait atterri. Spin, c'est une sculpture en acier et en laiton qui est inspirée à la fois du jouet, la toupie, et qui est aussi par ailleurs un instrument de mesure du ciel. On a l'impression qu'elle a atterri. C'est comme un objet un peu aliéné qui se serait posé là. J'ai proposé ça, car je savais que l'endroit se trouvait à côté d'une école et donc je voulais faire une œuvre qui puisse être un peu ludique et évoquée quelque chose aux enfants ", témoigne l'artiste. "Et donc la constellation qui est perforée sur le disque, c'est la constellation des pléiades qui est visible de tout point de la terre. Je suis passionnée par l'observation, que ce soit du ciel et des éléments naturels, des phénomènes climatiques, à la fois du microscopique au macroscopique. Il y a ce fil de la science qui parcourt l'ensemble de mon travail", confie Caroline Corbasson.
Les enfants auraient bien envie de chevaucher cette sculpture et justement Caroline va faire un atelier avec les scolaires de Clamart durant lequel ils vont fabriquer des petites maquettes et discuter d'astronomie et de sciences. Un sorte de workshop en fait.
La deuxième œuvre, s'intitule "Colorscape" et c'est le prometteur Nuveen qui a contacté l'artiste dans le cadre du projet d'un immeuble, au 36 rue Lafayette à Paris. Un bâtiment qui accueille un grand atrium. "On m'a proposée de l'investir où j'ai fait une œuvre numérique digitale, encastrée dans le mur, qui est un écran de led diffusant des images du ciel en continu et des couleurs aussi. J'ai du pas mal me renseigner sur la chromothérapie. Cet écran diffuse des cieux lointains avec des couleurs qui changent en fonction des saisons", affirme Caroline Corbasson.
Son dernier travail est destiné à un bureau dans le 15e arrondissement. Cet œuvre sera extérieur et toujours en relation avec le ciel, les astres.
C'est la première fois que Caroline expose son travail de cette manière. Visible jusqu'à maintenant en galerie ou institutionnellement, ce projet lui permet de s'ouvrir à un nouveau public. "Je trouve que c'est essentiel, car l'art ne doit pas être réservé à une élite et que pouvoir tout d'un coup créer une rencontre avec le public sensible ou non, plaire ou déplaire et c'est aussi ça le challenge, celui de pouvoir faire une proposition qui soit acceptée par le plus grand nombre sans imposer une œuvre écrasante et c'est ça qui est difficile aussi dans cet exercice", conclut la créatrice.
Un soutien massif à la création
C'est le projet le plus ambitieux après le 1 % artistique, second point, on sait que l'art provoque du dialogue, des émotions comme a écrit Malraux " l'art, c'est le plus court chemin de l'homme à l'homme " cite Arthur Toscan du Plantier. "L'autre intérêt aussi, c'est que dans les entreprises, on leur donne la responsabilité du programme, qui vont être en échange avec l'artiste", rajoute-il.
Aujourd'hui, le club un immeuble une œuvre est en train de travailler pour avoir un retour du public dans ses questionnaires de satisfaction pour ceux qui achètent un logement par exemple en rajoutant des questions sur la perception de l'œuvre et de son impact. Différents artistes et pas des moindres participent à ce dispositif comme Eva Jospin, ou encore Fabrice Hyber. "Il y a un panorama d'artistes très diversifiés. Ça va de celui qui sort tout juste d'une école d'art à un artiste installé comme Fabrice Hyber, Daniel Buren, un panel donc extrêmement large", se satisfait Arthur Toscan du Plantier.
A chaque édition, un prix récompense 3 artistes. "Il faut prendre en compte la temporalité des programmes immobiliers qui durent en moyenne entre deux et demi et trois ans. Ce qui explique que ce programme un immeuble une œuvre n'est pas visible chaque année. C'est un programme super vertueux, car il a un aspect esthétique", termine. Arthur Toscan du Plantier.
Toutes les œuvres sont répertoriées ici.
Une initiative portée par les promoteurs, le ministère de la Culture et la Fédération des Promoteurs Immobiliers de France. En tout, 500 œuvres d'art partout en France dont plus de 200 œuvres en région Île-de-France.