France 3 Paris-Ile-de-France s’est rendu dans cette « petite Turquie » et a rencontré quelques membres de cette diaspora dans un contexte où les relations entre la France et la Turquie connaissent un nouvel épisode de tensions, notamment dues aux carricatures de Mahomet dans la presse.
Ils s’appellent Selim*, Ali*, Șimal*, Deniz* et Ece*. Ils sont Kurdes, Alévis ou Anatoliens. Ils sont tous originaires de Turquie. Ils ont, pour la plupart, et comme beaucoup d'autres, élu domicile autour de la Porte Saint-Denis dans le Xe arrondissement de Paris. Ce quartier, secteur historique de l’immigration turque dans la capitale – débutée à la fin des années 1960 – est aussi appelé « petite Turquie ». Il est l’un des nombreux bastions de la diaspora turque en France – qui compte près de 700 000 membres – avec celui de Strasbourg et celui aux alentours de Lyon. Près de 270 000 d’entre eux sont actuellement concentrés à Paris.
France 3 Paris-Ile-de-France s’est rendu dans cette « petite Turquie » et a rencontré quelques membres de cette diaspora dans un contexte où les relations entre la France et la Turquie connaissent un nouvel épisode de tensions.
La Turquie a annoncé aujourd’hui qu'elle allait prendre des mesures « judiciaires et diplomatiques » après la publication par Charlie Hebdo d'une caricature du président turc. Ce dernier avait déjà appelé lundi au boycott des produits français. Une décision qui ne fait pas l’unanimité dans la « petite Turquie ». "Ça ne sert à rien de boycotter les produits français. Il y a des accords commerciaux entre la France et la Turquie dans beaucoup de domaines", affirme Selim*, boucher dans le quartier depuis plusieurs années, bien qu’il se dise ouvertement aux côtés du président turc. "Je soutiens Erdogan et l’AKP (parti du président turc)", dit-il, avec un léger sourire, ajoutant "ne pas aimer les caricatures" du prophète Mahomet. L’avis de Selim semble toutefois minoritaire par rapport au reste des habitants du quartier, se disant ouvertement défavorable vis-à-vis de l’attitude du président Erdogan, tant sur les scènes intérieure qu'extérieure.
Plus d’opposants que de partisans
Certains n’hésitent d’ailleurs pas à le qualifier de « dictateur ». "Erdogan utilise la religion pour rentrer dans le cerveau des gens", dit de son côté Ece*, estimant qu’ "il y a des musulmans qui sont persécutés ailleurs dans le monde, mais on ne l’entend pas. Bizarre pour quelqu’un qui se veut ‘défenseur des musulmans’". "Les Alevis et les Kurdes sont mal vus en Turquie", confie de son côté une jeune kurde. "« Je ne comprends pas pourquoi il y a tant de guerres menées par la Turquie" dans la région, se demande Ali*, également kurde de Turquie, prenant l’exemple de la Libye, de la Syrie et de l’Azerbaïdjan."Je ne me reconnais pas du tout dans les propos du président Erdogan. Je suis totalement aux antipodes", explique Deniz*, issue de la communauté Alévie (une branche de l'islam chiite fortement implantée en Turquie) et ayant décidé de grandir dans une culture athée. "Erdogan se considère comme le ’maître’. Il a consolidé son pouvoir au fur et à mesure des années. Il a des ambitions que je ne cautionne pas du tout", clame Șimal, également Alévie, vivant en région parisienne mais travaillant à Paris. "En Turquie, comme au sein de son parti [celui d’Erdogan], les gens ont peur. Il a instauré un climat de terreur", ajoute-t-elle.
Arme redoutable lors des élections
Ils ont toutefois beau être ouvertement opposés à la mentalité et à la politique de Recep Tayyip Erdogan, ils n’ont pas rompu tout lien avec leur pays d’origine. Ils y passent les vacances et ont, pour une partie d'entre eux, conservé les traditions turques et/ou kurdes dans la sphère priveé et ont perpétué l’usage et apprentissage de leur langue d’origine à leurs enfants.Il n’empêche que malgré tout, la diaspora turque à l’étranger, en France comme ailleurs, est une arme redoutable quand vient le temps des élections. C’est notamment vrai en ce qui concerne l’AKP. On compte près de 3 millions d’électeurs turcs à l’étranger. Ces derniers ont le droit de vote en Turquie. Présents surtout en Allemagne, en France et au Pays-Bas, ils sont en général issus de la mouvance conservatrice et donc plus susceptibles de choisir le candidat de l’AKP (islamo-conservateur). Toute une structure est mise en place pour favoriser la mobilisation du vote de l’étranger.
Et même si à Paris, et plus largement en Ile-de-France, la diaspora est majoritairement opposée au président turc, elle reste, selon les analystes, sous l’influence d’Ankara à l'échelle nationale.
*pour des questions de sécurité, les prénoms cités ont été modifiés.