Distribution alimentaire interdite : les associations attaquent en justice la préfecture de Paris

Plusieurs associations se sont rendues au tribunal administratif de Paris ce lundi matin pour contester l'arrêté pris par la préfecture de Paris interdisant les distributions alimentaires dans deux secteurs situés dans le nord de la capitale.

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Comme un pied de nez à la préfecture de police de Paris. Dimanche soir, plusieurs associations accompagnées d’élus parisiens ont distribué plus de 300 repas aux personnes exilées et en grande précarité au pied du métro Stalingrad… En lisière du secteur concerné par l’arrêté pris le 10 octobre par la préfecture de police de Paris et qui prévoit une interdiction des distributions alimentaires jusqu’au 10 novembre sur neuf artères des 10e et 19e arrondissements de Paris. Une action symbolique dans la rue avant la contestation juridique.  

Car ce lundi matin, c’est devant le tribunal administratif que les associations ont cette fois-ci porté le contentieux. Face au représentant de l’Etat, la Ligue des droits de l’homme, Emmaüs, la Fondation Abbé Pierre, le Gisti, les associations Utopia 56, Paris d’exil ou encore Solidarité Wilson ont demandé la suspension immédiate de l’arrêté et la reprise sans délais des distributions. "J'ai fait valoir pour les intérêts d'Utopia 56 l’urgence à suspendre la mesure d'interdiction au vu du nombre de personnes privées de ces distributions alimentaires et de leurs profils (femmes enceintes, enfants en bas âge, personnes dans un état de santé très détérioré) et de l'incapacité établie des associations en dehors du périmètre d'absorber, a fortiori pendant un mois, les quelque 500 personnes privées de distribution alimentaire ", explique Samy Djemaoun, l’avocat de l’association Utopia 56.

Par la voix de leurs avocats, les associations ont également contesté la légalité de l'arrêté, son absence de nécessité et sa disproportion, remettant en cause le "trouble à l'ordre public" dont le document fait état. Le préfet explique en effet que "ces distributions alimentaires engendrent, par leur caractère récurrent, une augmentation de la population bénéficiaire de ces opérations et qu’elles contribuent, en corollaire, à stimuler la formation de campements où se retrouvent des migrants, des personnes droguées et des sans-domicile fixe". "Les risques liés aux débordements sur la voirie, à l’insalubrité, aux échauffourées, et à la présence de toxicomanes sont générateurs de troubles à l’ordre public et de plaintes de la part des riverains", peut-on également y lire.

Comment en 2023 on peut se dire qu’on arrête de donner à manger à des gens qui ont faim, sans qu’aucune alternative ne leur soit proposée ?

Eric Constantin, Fondation abbé Pierre

Des propos réfutés par les associations qui œuvrent dans le secteur de Stalingrad et de Jaurès depuis trois ans, attestations et témoignages de riverains et de restaurateurs à l'appui. "La préfecture ne nous a apporté aucune preuve de trouble à l'ordre public ce matin", affirme Eric Constantin. Le directeur régional de la Fondation Abbé Pierre regrette la décision prise par l'Etat, "inadaptée" selon lui face à la détresse des personnes à la rue. "Comment en 2023 on peut se dire qu’on arrête de donner à manger à des gens qui ont faim, sans qu’aucune alternative ne leur soit proposée ? Cette réponse n’est ni humaine, ni digne. C’est dramatique d’être suspendu à une décision de justice pour pouvoir continuer de donner à manger aux gens. Près de 70 ans après l’appel de l’abbé Pierre, voilà où nous en sommes rendus. C'est choquant."

"L'Etat se trompe de combat"

Selon les associations, ces interdictions vont priver près de 500 personnes chaque jour de nourriture. De son côté, la préfecture de police assure être attentive à l'évolution de la situation, notamment la pression d'un report sur la gare de l'Est. Et indique que d'autres associations et épiceries solidaires implantées dans le nord de Paris pourraient prendre le relais pendant un mois. "Nous avons certes des associations dans le 19e arrondissement, mais elles sont saturées. Quand aux épiceries sociales, c’est bien, mais encore faut-il avoir une cuisine, ça ne peut être qu'une solution complémentaire, estime de son côté Léa Filoche, adjointe aux solidarités à la mairie de Paris. L'Etat se trompe de combat. Il se trompe quand il criminalise la solidarité au lieu de faire son devoir sur l’hébergement d’urgence. Ce n'est pas les distributions alimentaires qui font venir les gens. Il y a des distributions parce qu’il y a des gens à la rue."

L'Etat se trompe quand il criminalise la solidarité au lieu de faire son devoir sur l’hébergement d’urgence

Léa Filoche, adjointe aux solidarités à la mairie de Paris.

Des interdictions similaires ont déjà été prises à Calais via des arrêtés préfectoraux en 2020, 2021 et 2022. En octobre 2022, le tribunal administratif de Lille avait estimé que plusieurs interdictions étaient "disproportionnées par rapport aux finalités poursuivies" car elles affectaient "les conditions de vie de populations particulièrement vulnérables" et portaient "atteinte au respect de la dignité de la personne humaine garanti par le préambule de la Constitution et par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales".

A Paris, la décision du tribunal est attendue au plus tard ce mardi matin. 

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