Coronavirus : l’épidémie « sous contrôle » dans les prisons franciliennes

Risque de pandémie, risque de mutineries... Depuis six semaines, le confinement n'est pas simple dans les prisons. Mais en Île-de-France, le premier bilan est positif. Malgré quelques mouvements de protestation, la situation est "sous contrôle" selon l'administration pénitentiaire. 

"J’ai eu peur que l’on connaisse la même situation que sur le Charles-de-Gaulle ou sur le paquebot Diamond Princess où la maladie s’est propagée à une vitesse vertigineuse," reconnaît Laurent Ridel. Mais six semaines après le début du confinement, le directeur interrégional des services pénitentiaires d’Île-de-France ose enfin souffler : "Nous avons eu 30 agents gravement touchés mais tous sont aujourd’hui sortis de l’hôpital. Chez les détenus, 17 prisonniers sont atteints du Covid et quarante personnes présentant des symptômes sont confinées. L’épidémie semble sous contrôle même s’il faut rester très prudents. Nous ne sommes pas sortis de la crise."
Un décès est à déplorer, un homme de 74 ans incarcéré le 8 mars à la prison de Fresnes (Val-de-Marne) "avec des problèmes de santé" selon le ministère de la Justice. Mais le bilan aurait pu être bien plus lourd tant la surpopulation, l’insalubrité et le manque d’hygiène faisait craindre en Île-de-France comme dans d’autres régions une explosion du nombre de cas. 
Parmi les facteurs qui expliquent la faible contamination, il y a la relative jeunesse de la population carcérale, peut-être moins sensible au virus. Il y a également les mesures prises pour limiter la propagation du virus : la distribution de gel et de savon dès le 17 mars, l’isolement des personnes présentant des symptômes et la prise en charge immédiate par des médecins grâce à des unités sanitaires présentes au sein de chaque établissement. Les cas les plus sérieux ont été envoyés à la Pitié-Salpétrière où trois détenus sont toujours hospitalisés. "Nous avons également vidé tout un étage de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes pour accueillir des patients du Covid-19, soit 30 lits", énumère Laurent Ridel. Neuf lits y sont actuellement occupés.
 

Des mouvements de protestation mais pas d'émeutes

Autre mesure drastique prise par la chancellerie pour éviter les contaminations : la suppression des parloirs et de toutes les permissions de sortie pour le maintien des liens familiaux ou la recherche de travail. Des privations qui n’ont pas été sans conséquences dans les prisons. Dès leur annonce, 8 des 17 établissements d’Île-de-France ont connu des mouvements de protestation. Mais pas d’émeutes à l'instar de celles qui ont eu lieu en Italie. A Bois d’Arcy, à Fleury-Mérogis, la Santé et Réau, des détenus ont refusé de réintégrer leurs cellules à l’issue de leur promenade. "Il a fallu faire appel aux Eris (équipes régionales d'intervention et de sécurité, ndrl), raconte Odile cardon, la directrice de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy dans les Yvelines. Puis les détenus ont compris que ces mesures, on les prenait pour eux, pour leur santé." Dans cet établissement, malgré une suspicion, il n’y a eu à ce jour aucun malade confirmé.
Pour apaiser le climat, et rendre le confinement moins difficile, les prisonniers ont pu bénéficier d’un accès gratuit à la télévision et d’un crédit téléphonique de 40 euros. Il y a aussi eu le versement d’un pécule de 40 euros pour ceux qui travaillent habituellement pour des entreprises extérieures et qui se retrouvent désormais sans ressources. Les horaires de promenade ont été allongés et les douches sont désormais accessibles 7 jours sur 7 contre 3 auparavant. "Nous avons également mis en place du sport pour tous : du pingpong, du badminton et du jogging. Des activités qui permettent de respecter les mesures de distanciation," explique Odile Cardon.
Pour faire passer ses messages de prévention, elle a pu s’appuyer sur le canal vidéo, une télévision interne réalisée par des détenus pour les détenus. Des médecins y ont été interviewés ainsi que des personnes incarcérées qui ont pu raconter leur quotidien. Des programmes de relaxation ou des cours de cuisine ont également été diffusés.

On a fait avec les moyens du bord, inventer une organisation en une dizaine de jours. Comme à la pénitentiaire, nous n’avons pas beaucoup de moyens, il nous faut être créatifs.  

Une directrice bien consciente du rôle majeur qu’a constitué la baisse du nombre de détenus depuis le début de l’épidémie. Car comment garantir le respect des gestes barrières et de la distanciation sociale dans des prisons dont le surpeuplement chronique a valu en janvier à la France une condamnation de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ?
Le 25 mars, une ordonnance prise dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire a facilité notamment les libérations anticipées des détenus condamnés à des peines inférieures à cinq ans et dont la date de libération approchait. Une disposition dont sont exclus les détenus terroristes, les criminels et les personnes condamnées pour des faits de violences intrafamiliales. Résultat : ces mesures de libération anticipées conjuguées à la baisse des mises sous écrou liée au ralentissement de l’activité judiciaire ont fait fondre le nombre de détenus à Bois d’Arcy. Plus de 250 détenus sont sortis. Ils sont actuellement 746… pour 594 places. "C’était une mesure indispensable. Sinon, nous n’aurions jamais pu tenir", reconnait Odile Cardon.
 

3000 prisonniers en moins depuis le 17 mars

Plus généralement en Ile-de-France, 13 500 personnes étaient incarcérées le 17 mars. Elles ne sont plus que 10 500 aujourd’hui. "Il n’y a plus de cellules à trois, ni de matelas au sol. A la maison d’arrêt de la Santé à Paris, les cellules sont redevenues individuelles. Et on n’en est pas loin à Fleury-Mérogis", détaille le directeur interregionial des services pénitentiaires d'Ile-de-France. Laurent Ridel espère que ces libérations se poursuivent "au moins jusqu’à ce que l’on vienne à bout de la pandémie". Car la meilleure des protections à la contamination, "c’est de limiter le surencombrement et de faire en sorte que chacun puisse respecter les gestes barrières". A noter que depuis le début de l’épidémie, à Paris, environ 50 nouveaux dossiers de demande de remise en liberté sont enregistrés chaque jour par la cour d'appel. Leur nombre a plus que triplé par rapport à 2019.
C'est cet ensemble de mesures qui selon Laurent Ridel a permis de faire redescendre la pression.

Les détenus et les surveillants ont fait front commun devant un danger qui peut toucher tout le monde. Il y a moins de tensions que d’ordinaire, moins de suicides.

"On s’est retrouvés face à un ennemi commun. Ca nous a rapproché. Les détenus ont vu que nous avions tous pris des risques en venant travailler sans masques au début. Nous étions face à la même menace. Et avec un effectif moindre, on a pu faire le travail de réinsertion que l’on nous demande", renchérit de son côté la directrice de Bois d’Arcy. 
En Ile-de-France tout n’est pas rose pour autant. La crainte d’une contamination reste vive chez les détenus. L’absence de parloirs difficile à vivre. En témoigne les messages laissés sur le répondeur de l’OIP, l’Observatoire international des prisons : "J’ai peur de mourir en prison, vu la crise sanitaire… Ici les gestes barrières sont impossibles à respecter", raconte ce détenu de Meaux. Même angoisse pour cet homme, incarcéré à Villepinte : "On ne nous dit rien, on a peur de crever. Ici il y a un nouveau cas possible de Covid chez un détenu qui était auxi. Il a été emmené on ne sait pas où, en confinement, à l’hôpital, personne ne veut nous dire…"
Pour le reste, les détenus ont réclamé des masques et des gants à la direction. En vain. Seuls les surveillants en ont été dotés le 28 mars. Il y a deux semaines, quatre organisations, dont l'OIP, ont saisi le Conseil d'Etat pour réclamer une meilleure protection de la santé des prisonniers et la distribution de masques, indispensables pour le déconfinement. Une étape qui peut s’avérer aussi délicate que celle du confinement il y a six semaines. 
 

Des campagnes de dépistage lancées dans les prisons

Pour parvenir à ce dédonfinement, des campagnes de dépistage avec des tests PCR ont été lancées depuis lundi dans quelques établissements franciliens. Concrètement, un médecin se présente dans chaque cellule avec un thermomètre. Si le détenu a de la température, un test est effectué. Concernant la reprise des parloirs en revanche, rien n’est encore acté. Plusieurs réunions dans les ministères doivent se tenir dans les prochains jours pour décider de leur réintroduction. Et des conditions requises pour assurer la sécurité de tous. Des conditions qui devront être "drastiques" pour le directeur interrégional des services pénitentiaires d’Ile-de-France : pas plus d’une personne par parloir ; une distance entre chaque visiteur, et du temps pour que le personnel puisse nettoyer les espaces. "Il faudra être extrêmement vigilants dans les prochaines semaines. Nous ne sommes pas du tout à l’abri que cela reparte."

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