Portrait : Julie, AESH, une militante de l'inclusion scolaire

Les accompagnants d'enfants en situation de handicap (AESH) sont en grève ce jeudi. D'après les association 35 000 enfants handicapés n'ont pas d'accompagnant, faute de personnel. A cette occasion, nous republions le portrait de Julie, AESH dans un collège parisien, pour mieux comprendre ce métier.

"Je suis tombée dedans", rit Julie dont le prénom a été modifié. "C’est un travail que l’on quitte en général, moi je l’adore", ajoute-t-elle.

Julie est AESH, une profession plus connue sous son ancienne appellation, AVS, auxilliare de vie scolaire. Elle accompagne quatre élèves en situation de handicap scolarisés dans un collège du centre de Paris. Antoine* est en troisième, il est dyspraxique et dysgraphique. Ugo* est en quatrième, il souffre de troubles autistiques. Erwan* vient de rentrer en sixième, c’est un « dys » et il y a Thimothé*. Lui est aussi dyspraxique et a des troubles de l'attention.

Aider les élèves qui ont un handicap

Son travail : "venir en aide aux élèves en situation de handicap au sein des établissements scolaires et les accompagner dans leur apprentissage sous la responsabilité pédagogique des enseignants". Une définition officielle donnée par l’Education nationale qui recouvre une réalité riche et complexe qui associe des enfants handicapés, des parents bien souvent en souffrance, des enseignants parfois démunis et une classe dans l’ensemble bienveillante mais pas toujours.

Au collège la sonnerie retentit tous les matins à 8 heures 30. L'heure d'aller en cours. Pour Julie, direction une salle de classe mais avant il y a ce choix cornélien à faire : en fonction des besoins ou de l'emploi du temps de l’enfant, l’accompagnante qui est "mutualisée" doit décider de s'occuper prioritairement de l’un ou de l’autre des 4 collégiens dont elle a la charge. Et cela malgré un nombre d'heures réglementaires imposé par la Maison du Handicap. "Il manque tout simplement des AESH", déplore Julie même si l'Education nationale recrute en permanence. "Je m'occupe de 4 élèves. Deux, ce serait bien, même si cela dépend des pathologies de l’enfant. Je sais que si je ne suis pas à ses côtés, un des quatre enfants n’écrira pas et ne suivra pas le cours aujourd'hui".

Chaque enfant est différent. Il s’agit de s’adapter à son élève, sa pathologie ses émotions et ses besoins pratiques. 

Julie, AESH

 


Julie veille à ce que l'élève suive le cours, écrive s'il le peut dans son cahier ou son ordinateur et assimile l'enseignement. "Pour ceux qui ne peuvent pas écrire, je les aide à prendre leurs notes. Je parle tout bas, reformule les questions des professeurs ou les énoncés des exercices. Pour ceux qui se servent d’un ordinateur pour écrire,comme Antoine, trouver une prise pour brancher un ordinateur peut aussi se transformer en parcours du combattant!", s'exclame-t-elle .

"Les élèves dyspraxiques ont une mémoire de travail particulière. Sans leur dire la réponse, il faut réussir à les faire accéder à ce qu'ils savent ou ne savent pas ou qu'ils retrouvent la manière de faire un exercice en donnant quelques indices. Cela est complexe car on a tendance à vouloir donner la réponse", explique-t-elle.

Mon objectif : que le mot "école" fasse moins mal au ventre.

Julie, AESH

"Mon quotidien est de recevoir, accueillir, accompagner les émotions des élèves pour qu'ils surmontent leurs difficultés", détaille Julie. " Ma mission : sécher les larmes, faire retomber le stress, relever l'estime de soi et un challenge : un rire par jour", sourit-elle.

Pour les élèves en situation de handicap, être à l’école est déjà une difficulté en soi. "Ils savent qu'ils dérangent. Ils entendent qu'ils freinent le groupe ou l’enseignant dire : Ah j'ai oublié, c'est vrai pour toi, mince ah ben oui, ben c'est pas grave y' a Julie ". Ennui, impuissance, peur des humiliations, manque de confiance en eux... "Ils sont dans un univers où beaucoup de choses leur échappent comme la parole des profs, le sens de leur présence. Et puis il y a tout un tas de codes sociaux qu’ils n’intègrent pas forcement. Erwan, qui souffre de dyslexique, dysorthograhie, dyspraxie et dysgraphie est en 6e, il n'a pas de problèmes pour jouer avec les autres mais en récré, il a des croix (des sanctions) parce que sa dyspraxie l'empêche d'entendre les ordres lancés au groupe à la volée comme 'rangez-vous'. J'ai dû aller voir les surveillants pour leur expliquer cela", détaille-t-elle.

 

L'école n'est plus un calvaire pour lui

mère d'Erwan, enfant accompagné par Julie

 

Erwan bénéficie pour la première fois cette année d’un "accompagnement humain". Il n’avait pas d’AVS (auxilliaire de vie scolaire) en primaire. Il n’y avait qu’une maîtresse. C’était facile de parler avec elle et voir les aménagements possibles mais au collège les choses sont plus compliquées, les profs n’ont pas forcement le temps ou la patience", explique sa mère. "Erwan était un garçon un peu éteint et qui se sentait différent. Il ne voulait pas d’AVS. Il ne voulait pas que l’on affiche son handicap, il voulait être comme tout le monde".

"Julie met en forme ce qu’il ne peut pas faire, elle exprime les capacités qu’il a en lui. Il s’est toujours déprécié, disant je suis nul je suis nul... Aujourd'hui grâce à Julie, l'école n'est plus un calvaire pour lui. De le voir aussi épanoui, c’est une révolution, il est joyeux et apaisé. Ses notes sont incroyables", s'enthousiasme la mère d'Erwan.

"Julie est aussi un relai avec les enseignants," poursuit sa mère. Et d'ajouter : "Il est déjà revenu avec des ampoules aux doigts et des crampes. Une professeure lui avait demandé d'écrire 5 pages dans son cahier. Julie a du s'interposer et expliquer la pathologie de notre enfant". 

Un travail d’inclusion

La relation avec les enseignants n’est pas toujours simple. Il faut qu’ils aient "confiance en nous" . Selon Julie quelques profs ont encore du mal à accepter la présence d'un autre adulte dans sa classe.

Faire accepter "la différence" au sein d'une classe fait également partie des missions de l'AESH. Auprès des professeurs mais aussi des autres élèves, pas toujours bienveillants. "Il a fallu faire du travail autour de l’inclusion dans la classe. Certains ados que j'accompagne peuvent avoir des crises et déranger la classe puis se faire prendre en grippe. Il peut également y avoir de la jalousie entre les élèves. Un enfant accompagné au collège, c’est normal qu’il ne soit pas en réussite scolaire,  mais un enfant accompagné en réussite scolaire, là, ça crée du remous !", dit-elle. "Ses camarades étaient jaloux. Les autres pensaient qu’ils pouvaient accéder à ses cours dans son ordinateur lors des contrôles. Sa réussite scolaire a provoqué de l’agressivité chez certains élèves et certains parents. Cela demande donc un gros travail auprès des autres enfants. La classe doit y trouver également un bénéfice, une compensation pour accepter celui qui est différent" explique l'accompagnante. "Notre place est particulière. Aux yeux des élèves, nous ne sommes pas des profs. Je me sens un peu comme la 'tata' de la classe", avoue-t-elle.

Le recrutement et la formation en question

Julie, AESH depuis 7 ans, diplômée en psycho-sociologie et en anthropologie se dit "privilégiée d'excercer ce métier". Un métier dans lequel elle est arrivée un peu par accident et surtout par nécessité de payer son loyer. "J’ai fait mes études au Québec, là-bas, il y a des handicapés partout mais quand je suis revenue en France, je me suis dit mais merde il manque des gens dans la société. Ils sont ou ? Ils font quoi ? Il n’y a pas de raisons que les enfants handicapés soient dans un institut spécialisé. Tous les "dys" ont un cerveau !! Ils peuvent suivre, ils ont droit à une scolarité comme tous les autres", martèle-t-elle. Aujourd'hui, elle dénonce la manque d'AESH et déplore l'insuffisance de la formation et du recrutement.

Le rectorat de Paris compte 2950 AESH en juin dernier, 3050 à cette rentrée. 10 027 élèves relève d’un PPS, un projet personnel de scolarisation, en 2019 pour 9 714 en 2017.

"Comme il manque des AESH, on est recruté dans l’urgence et nous sommes formés en même temps que nous commençons à travailler", remarque-t-elle. La formation donnée par l'Education nationale dure 60 heures "Elle est décriée mais moi je l’ai appréciée. Mais si je n’avais pas fait des études de psycho avant, je n’en aurais pas tirer de bénéfices car faire le développement de l’adolescent en situation de handicap en 2 heures ou l’ergothérapie en 2 heures, ce n’est pas possible", déclare Julie.
 

AESH n’est pas sous métier. Il manque une filière, une formation et un suivi des pratiques pour analyser les situations

Julie AESH


Elle pointe également du doigt le recrutement qui doit être plus exigeant. "Il y a tout une période où les postes étaient résevés à des profils en difficultés sociales et économiques. Les maîtresses voyaient arriver un enfant en situation de handicap et une AVS en situation de détresse sociale et économique. Pour le métier, pas génial, pour l’inclusion, pas génial non plus", souligne-t-elle.  Et d'ajouter : "AESH n’est pas sous métier. Il manque une filière, une formation et un suivi des pratiques pour analyser les situations et prendre du recul sur nos postures professionnelles. Il y a bien une personne référente mais quand on l'appelle, c’est qu’il y a un gros problème et la résolution sera longue. C'est déjà trop tard", regrette Julie.

Elle n'oublie pas non plus l'indécence du salaire. Julie gagne près de 1200 euros par mois, pour un temps complet ce qui est rare pour sa profession. La plupart des accompagnants travaillent une vingtaine d'heures par semaine pour un salaire moyen qui s'élève entre 760 euros selon les syndicats. "C’est indigne et c’est un manque de respect pour les AESH et pour nos enfants. Il n’est pas normal que l’Etat, la fonction publique, propose des emplois précaires et à temps partiel dont la rémunération ne suffit pas pour vivre", témoigne la maman d'Antoine suivi par Julie.

"Au fil des ans en tant que parents concernés nous avons observé la dégradation des conditions d’accompagnement. Souvent les postes ne sont pas pourvus ; de plus en plus les AVS sont "mutualisées", traduction : ils ne peuvent consacrer plus de trois ou quatre heures par semaine à chaque élève. Cette année l’AVSi ( individualisé) de notre fils ne peut pas effectuer auprès de lui les heures pourtant prévues et notifiées par la Maison Départementale des personnes Handicapées. Nous sommes mi-novembre et rien ne semble être mis en place pour essayer d’appliquer enfin les droits notifiés. Il n’y aurait pas de candidats pour les postes à pourvoir. Comment s’en étonner ?" s'indigne cette mère de famille.
 



Des conditions dénoncées par Julie également mais qui affirme se sentir à sa place dans ce métier. "Je suis pauvre mais heureuse", dit-elle en plaisantant. "En tant qu’AESH, j'ai un retour immédiat avec les élèves. Je me fais du bien aussi. C’est un privilège d’exercer ce métier. Toutes les personnes différentes ou non ont droit à une place dans notre société !"

Depuis 2019, en France le nombre d’élèves en situation de handicap accueillis à l’école ordinaire a progressé, passant de 361 200 en 2019 à près de 385 000 en 2020. 220 000 élèves sont accompagnés par "une aide humaine" à la rentrée 2020, 18% de plus que l'an dernier.

 

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l'anonymat.

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