Cela faisait des semaines que les 20 000 restaurateurs franciliens plaidaient pour la réouverture de l’intérieur de leurs établissements. C’est désormais possible depuis ce matin. Un soulagement pour beaucoup de patrons même si tous ne sont pas tirés d’affaire.
Charlotte Giraud peut enfin souffler. Après trois mois d'activité au ralenti, cette restauratrice va pouvoir rouvrir dès demain son établissement, Les Eléphants, un bistrot du XVIIe arrondissement. Le temps de refaire les stocks, de remplir les frigos et de préparer sa salle, inoccupée depuis le 14 mars. "On s’attendait à cette annonce. Enfin, on l’espérait. On est très contents de pouvoir reprendre, ça va faire du bien." Du bien au moral et pour la trésorerie de son restaurant, largement creusée pendant la période de confinement. "On a travaillé non-stop depuis début avril en participant au collectif solidaire pour fournir des repas dans les hôpitaux. Puis en cumulant le bénévolat et la vente à emporter. On a essayé d’être inventifs mais ça ne nous a pas permis de nous payer. Simplement de régler les charges." Pour ce bistrot de quartier, le manque à gagner est énorme, malgré une indemnisation de 9000 euros du Crédit Mutuel, le cadeau "surprise" de deux mois de loyers de la part de la propriétaire et l’installation de quelques tables sur le trottoir. "Pour avril et mai, nous n’avons réalisé qu’un quart de notre chiffre d’affaire. Nous avons dû décaler notre crédit de 6 mois pour nous en sortir et on n’est certainement pas au bout de nos peines." A défaut des 27 couverts habituels, l’Eléphant ne pourra accueillir que 14 clients à l’intérieur, protocole sanitaire oblige.
Il y a eu de la casse économique mais une vraie casse morale aussi
Pour Alain Fontaine, propriétaire du restaurant Le Mesturet dans le IIe arrondissement, la réouverture, même partielle, est un "soulagement". "Je faisais partie des 6000 restaurateurs punis à Paris, ceux qui n’ont pas de terrasse. Maintenant, on va essayer de limiter la casse", explique ce patron également président de l’association française des maitres restaurateurs. Alain Fontaine avait beau s’être lancé dans la vente à emporter, la période est restée très compliquée pour lui. "D’habitude, je faisais 250 couverts par jour. Là, j’étais tombé à une trentaine." Résultat, sur ses 28 salariés, 22 ont dû être placés en chômage partiel. "Y a eu beaucoup de larmes enfouies. Il y a eu de la casse économique mais une vraie casse morale aussi. Si j’avais pas eu mes associations et mes enfants, je ne sais pas comment j’aurais tenu. C’est la pire situation que je n’ai jamais connu. Ne pas avoir d’horizon, c’est ça qui était terrible." Le restaurateur a pu rappeller deux salariés supplémentaires dès hier soir pour rouvrir dès ce midi. Sans savoir si la clientèle sera au rendez-vous. "Dans cette période, il va falloir être plus chef d’entreprise que cuisinier. Se réinventer et miser beaucoup sur l’accueil, primordial. Car il manque encore les touristes, l’essentiel de ma clientèle. Et puis, beaucoup de parisiens restent en télétravail, c’est donc des clients en moins."
Le télétravail et l'absence de touristes, des freins à la reprise
L’absence de touristes et des salariés, restés chez eux, c’est ce qui inquiète principalement l’Umih, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie. "Nous sommes satisfaits que les frontières européennes soient de nouveau ouvertes depuis aujourd’hui. Mais nous attendons maintenant le tour des crèches et des écoles car il y a encore beaucoup de télétravail en Ile-de-France. C’est aujourd’hui notre principal ennemi", reconnaît Franck Delvau. Le président de l'Umih Paris Ile-de-France regrette que la réouverture des restaurants n'aient été annoncée avant hier soir 20h. "Emmanuel Macron aurait pu nous prévenir dès vendredi soir et la sortie du conseil des ministres. On n'ouvre pas un restaurant d'un claquement de doigts. Impossible de commander des produits dans les temps et de prévenir le personnel."
On va continuer de discuter avec le gouvernement pour assouplir les règles
Son organisation milite aujourd'hui pour l’assouplissement du protocole sanitaire. "Les restaurants ne peuvent pas fonctionner à 50 %. On va continuer de discuter avec le gouvernement pour assouplir les règles ainsi que l’obligation du port du masque. Car si la reprise n’est pas au rendez-vous, que les restaurateurs ne peuvent pas payer leurs loyers, il va y avoir des dépôts de bilan", prévient le président de l’Umih. Un constat partagé par Marcel Benezet, président du groupement national des bars et des brasseries indépendantes. "Si on parvient à faire entre 50 et 70 % de notre activité grâce aux terrasses, ça sera bien un maximum. Et encore faut-il qu’il fasse beau, ce qui ne sera pas le cas cette semaine en Ile-de-France. Il faut assouplir les règles notamment en terrasses car elles sont ventilées. Sinon, nous risquons de travailler à perte."
Faute d’espace suffisant ou du retour des touristes dont dépendent notamment les restaurants étoilés, certains établissements pourraient rester fermés jusqu’en septembre.