L'appel à la grève des huissiers a été largement suivi lundi, tant en province qu'à Paris, où plusieurs milliers de représentants de la profession se sont rassemblés pour protester contre un projet de réforme du gouvernement.
A Paris, toutes les audiences correctionnelles se sont tenues sans huissiers, amenant les greffiers à se substituer à eux. Le greffier garantit le respect et l'authenticité des procédures, l'huissier étant lui chargé d'assurer la police de l'audience, d'appeler dossiers et témoins. A Lyon, les huissiers ne devaient pas assurer les audiences correctionnelles de l'après-midi, a indiqué le président du tribunal de grande instance, Paul-André Breton.
Dans les deux villes, la grève des audiences devrait durer toute la semaine et les huissiers ont également suspendu les citations et significations de jugements, conformément à l'appel lancé par la Chambre nationale des huissiers de justice. A Douai, le parquet a délivré une réquisition, comme la loi l'y autorise, pour obtenir la présence d'huissiers lors du procès d'une série de braquages aux assises du Nord. "Vous pouvez compter sur moi pour ne pas brader notre métier, qui existe depuis 300 ans!", a dit Patrick Sannino, président de la Chambre nationale des huissiers de justice, devant une foule de plusieurs milliers de personnes, réunies devant le palais de justice de Paris.
"Notre objectif, (...) c'est le retrait de cette réforme", a renchéri Denis Calippe, président de la chambre départementale des huissiers de Paris, déclenchant une vive clameur. Le gouvernement pourrait s'appuyer sur les conclusions d'un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) pour réformer et libéraliser certaines professions réglementées, dont les huissiers. Ces professions d'accès limité et à tarifs réglementés présentent, selon le rapport, une rentabilité nettement supérieure à celle du reste de l'économie.
Pas des 'nantis' ni des 'rentiers'
"Ce qu'on regrette, c'est le manque de concertation", explique Gérard Vallet, huissier à Orléans, qui a fait le déplacement à Paris avec une quarantaine de personnes. La garde des Sceaux, Christiane Taubira, doit recevoir mercredi, à la Chancellerie, M. Sannino, en compagnie du ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, mais les représentants de la profession n'ont, jusqu'ici, pas été associés aux travaux du gouvernement. Parmi les pistes évoquées par le rapport de l'IGF figure la délégation à un opérateur tel que La Poste de la remise d'actes et décisions de justice, les citations et significations.
"Je n'ai rien contre le métier de postier, mais ils n'ont pas la formation, ils ne peuvent pas assurer le même suivi", assure Anne Bonarek, secrétaire générale du GIE (Groupement d'intérêt économique) des huissiers audienciers correctionnels de Paris. "Nous, nous répondons aux questions des justiciables. Parfois, on les calme, parce qu'une procédure correctionnelle, ce n'est pas rien", souligne-t-elle.
"Ce qu'on fait, c'est un métier, qui nécessite sept ans d'étude", rappelle Thomas Bancaud, huissier à Chelles (Seine-et-Marne). "Le lundi, je démarre à 7h, jusqu'au vendredi, où je suis rarement chez moi avant 22h", détaille-t-il. "On n'est surtout pas des nantis et des rentiers", s'insurge Me Vallet, qui rappelle que les activités pénales de l'huissier sont le plus souvent déficitaires et qu'une étude ne s'y retrouve financièrement qu'avec les missions civiles.
Le rapport suggérait également de libéraliser davantage la profession en autorisant des investisseurs extérieurs au monde judiciaire à s'y implanter. "Je n'ai rien contre la libéralisation de la profession, mais nous avons dû payer cher pour y entrer", alerte Me Bancaud, qui dit s'être endetté de 700.000 euros pour racheter des parts de son étude. "L'achat de la charge, c'est quinze ans de remboursement derrière", situe Me Vallet. Pour Me Bancaud, la menace est claire: "Si on nous retire 40% de notre chiffre d'affaires, un mec comme moi, il est cramé"