Infirmerie psychiatrique de la police : un journaliste infiltre ce service unique en Europe

Valentin Gendrot, journaliste indépendant, a poussé incognito les portes de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Il y dresse le portrait des personnes atteintes de troubles psychiatriques, ces malades que la société invisibilise, quand elle ne les stigmatise pas.

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"L'infiltration, c'est la liberté de pouvoir aller là où on ne pourrait pas aller autrement." En 2017, le journaliste Valentin Gendrot décide d'infiltrer la police. Trois ans plus tard et après une immersion de six mois dans un commissariat du XIXe arrondissement de Paris, son enquête "Flic", publiée aux éditions Goutte d'Or, rencontre un véritable succès.

Cette année, le journaliste revient sur les mois qui ont précédé cette infiltration, lorsqu'il est affecté à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. Un service opaque où seule la police peut décider d'y envoyer des personnes présentant des troubles psychiatriques, comme il le raconte dans son nouveau livre "L'i3P infiltrée", aux éditions Albin Michel. Quinze mois passés au cœur de ce service d'urgence, où la folie côtoie l'ordinaire. Entretien. 

Pourquoi avez-vous eu envie d’infiltrer l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (I3P) ?

C’est une infiltration qui s’est faite par hasard. Lorsque j’ai décidé d’infiltrer la police en 2017, j’ai fait trois mois d’école avant d’être informé de ma première affection qui n’était autre que l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (I3P). Le premier jour de mon affectation, on m’a expliqué que j’allais être chauffeur et que j’allais devoir rester un an (il restera finalement quinze mois, ndlr). Pour moi, ça a été une tempête sous un crâne, car il était prévu que je fasse une enquête au sujet de la police. 

Pourquoi avez-vous décidé de rester dans ce cas ?

J’ai choisi de rester car on parle très peu de psychiatrie et j’ai senti qu’il y avait un sujet à faire là-dessus. Dès mon premier jour, j’ai vu des personnes en crise, qui tapaient sur les portes. J’ai vu des plateaux-repas volés à travers la pièce et des personnes qui tenaient des propos ahurissants comme "C’est la Gestapo ici !". Je trouvais intéressant de pouvoir m’infiltrer dans cet endroit qui est très fermé, mais aussi très mystérieux et quasiment inconnu de tous.

Vous expliquez à un moment du livre que cette structure d’urgence psychiatrique suscite "débats et controverses". Pourquoi cela ?

Ce qu’il faut comprendre avec l’I3P, c’est qu’il s’agit d’une structure unique en Europe et donc en France. C’est un service d’urgence réservé à la police, ce qui veut dire que seuls des policiers peuvent décider d’envoyer une personne à l’I3P. C’est un statut contestable, dans la mesure où en 2011 Jean-Marie Delarue qui était alors contrôleur général des lieux de privation de liberté avait demandé la fermeture du service et le transfert des moyens qui lui sont alloués au profit d’un dispositif hospitalier de droit commun. C’est donc le statut même de cette structure qui pose question, car elle se situe entre le médical et sécuritaire, entre le carcéral et le sanitaire.

 

Comment s’incarne concrètement cette dualité ?

Les gens arrivent menottés à l’I3P, et lorsqu’ils sont pris en charge par le service, ils sont attachés par les soignants avec une ceinture de contention. Ils reçoivent ensuite des neuroleptiques avant d’être emmenés vers des chambres d’isolement. C’est une forme de psychiatrie à l’ancienne.

N’est-ce pas un peu déshumanisant ?

C’est déshumanisant à partir du moment où cette infirmerie est une gare de triage. C’est un service d’urgence où les personnes ne restent que quelques heures donc on ne voit pas les mêmes visages d’un jour à l’autre. Il y a aussi un autre aspect déshumanisant que sont les chambres, puisqu’elles ne peuvent être fermées que de l’extérieur. Ce sont des "chambres cellules".

Selon vous, les policiers sont-ils suffisamment formés aux maladies mentales ? 

Non ils ne sont absolument pas formés, mais comme le reste de la société d’ailleurs, car il y a une peur lorsqu'on parle de psychiatrie. Lorsqu’on est sur le terrain, il faut se débrouiller.

Et pourtant depuis quelques années la santé mentale est un sujet qui s’impose de plus en plus dans le débat public. N’y a-t-il pas eu une prise de conscience des représentants de l’Etat ?

Depuis la crise de la Covid, il est vrai que la santé mentale est une question importante, mais dans les faits il ne se passe rien. Tous les moyens qui devraient être mis en œuvre en psychiatrie ne le sont pas. Il y a toujours autant de crises de vocation chez les infirmiers et les psychiatres, et des lits sont supprimés chaque année.

Dès le début de votre livre, vous assumez un parti-pris, celui du portrait plutôt que de l’analyse. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Lorsque l’on parle de psychiatrie, c’est souvent parce que du sang a coulé comme récemment avec l’affaire Lola ou en 2004 avec l’affaire Romain Dupuy. Mais ce n’est que 2% de ce qu’est la psychiatrie. La plupart du temps, ce sont des crises d’angoisse, des peurs, etc. Autant de choses qui ne sont pas factuelles et qui sont donc très difficiles à voir.

Je voulais donner la parole à ces personnes dans une société où la maladie mentale est très stigmatisée.

Valentin Gendrot

Ce qui m’intéressait avec cette infiltration, c’était de voir comment on bascule, comment on tombe dans la maladie mentale. Mais je souhaitais également raconter des romans familiaux, car chaque année 420 000 personnes sont hospitalisées pour des troubles mentaux et avec eux, ce sont autant d’existences cabossées et de vies brisées. Avec ce livre, je voulais donner la parole à ces personnes dans une société où la maladie mentale est très stigmatisée. 

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