Valentin Gendrot, journaliste et flic. Il témoigne de ses deux années en immersion dans la police

Le journaliste Valentin Gendrot a infiltré la Police nationale pendant deux années. Nous l'avons rencontré à l'occasion de la sortie de son livre Flic, un journaliste a infiltré la police, aux éditions Goutte d'Or. Il nous parle de son travail en immersion dans la police. 

A 29 ans, Valentin Gendrot est le premier journaliste à avoir infiltré la police pendant près de deux ans. Après avoir suivi une formation de 3 mois à l’école de police de Saint-Malo, Valentin Gendrot est nommé ADS, adjoint de sécurité. Il rejoint l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris puis il intègre le commissariat du 19ème arr. un quartier populaire de l’Est parisien. Là, où il souhaitait aller pour exercer son métier de journaliste et témoigner.  Il y restera 6 mois. 

Raconter au ras du réel le quotidien d’un flic dans un quartier populaire

Valentin Gendrot

Tutoiement, violences verbales et physiques, injures racistes, tabassages dans les fourgons de police, « zones grises », omerta, bavure, faux témoignage, « formation low-cost », conditions de travail dégradées, malaise de cette profession honnie par une partie de la population, manque de reconnaissance… Son livre témoignage est une plongée dans l'univers d’un commissariat parisien. "Mon objectif était de lever les deux grands tabous de cette institution : les violences policières et le malaise de cette profession. Je voulais raconter le quotidien d’un policier dans un commissariat d'un quartier populaire, au raz du réel, " explique-t-il.

En immersion

Valentin Gendrot n’en est pas à sa première infiltration. Il s’est déjà immergé dans différents secteurs professionnels. Celui des call-center par exemple. Il en fera un livre : Les Enchaînés, un an avec des travailleurs précaires et sous-payés. (Editions les Arènes).
 


Selon Valentin Gendrot, impossible de faire une enquête "classique" au sein de ce service public. Trop fermé, trop soumis aux règles de la communication. Il passe donc le concours d’ADS sous son vrai nom puis se fond pendant 2 ans dans son nouveau personnage. "Je ne pense pas qu’un journaliste en demandant gentiment, je veux faire un reportage, ait eu accès à tout ce que j’ai pu voir, ressentir, obtenu", soutient-il. "Je n’ai donc eu aucun tabou et aucune limite dans l’infiltration. Sans cette démarche, sans ce voyage souterrain dans un commissariat je n’aurais pas tout ce que je raconte".

La fin, son enquête, justifie les moyens, ne pas dévoiler sa véritable identité ? "C’est un sujet d’intérêt général. D’un côté, vous avez un nombre massif de suicides dans la police, de l’autre vous avez des violences policières qui sont en augmentation et une défiance de la police envers une certaine partie de la population et inversement. Tout cela fait que mon travail a quelque chose de salutaire et il faut évidemment en tirer les leçons", poursuit-il.

L'immersion dans la police n'est pas simple. Encore moins, le confrontation avec des collègues et des pratiques difficiles à cautionner. Comme le tabassage d'un adolescent auquel il assiste dans le 19ème arr. de la capitale.

Un cas de conscience que je porte encore

Valentin Gendrot


"Il y a toujours un peu de distanciation. Je suis le policier qui a adopté les pratiques, les mots, les codes de ses collègues. Je suis aussi le journaliste, le citoyen qui a des émotions différentes du policier. Forcément il y a des cas de conscience  Notamment le cas d’une bavure, cet adolescent frappé par un collègue, que j’ai dû couvrir par un faux témoignage. Evidement c’est un énorme cas de conscience que je porte encore", souffle-t-il.
Et de poursuivre, "Je me suis posée la question d’arrêter mon enquête. Quand cela est arrivé, cela faisait 3 semaines que j’étais dans le 19e. J’avais attendu un an et demi pour en arriver là. Avec seulement trois semaines de présence, je n’aurais pas pu raconter le quotidien des policiers.
"Tous les moments de tension me font blêmir, je deviens totalement blanc. Je me fige. Je ne suis que policier contractuel et je travaille ce jour-là avec 3 gardiens de la paix confirmés. Je ne suis rien. Je suis le petit nouveau qui vient d’arriver. Que voulez-vous que je fasse ? Je ne suis pas non plus un super héros. Il y avait 2 solutions : soit je dénonçais et je devenais un traître aux yeux de mes collègues car dans la police on ne balance pas. Soit je gardais cela pour moi. Et j’avais tous les éléments pour raconter une bavure, pour raconter comment les policiers se couvrent entre eux quitte à faire un faux en écriture publique. Ce qui est un crime, passible des Assises. Dans cette affaire, l’IGPN a été saisie et il va y avoir une enquête. Je souhaite être entendu par l’IGPN, la police des polices, revenir sur ma déposition et raconter cette fois-ci la vérité. La lumière doit être faite sur affaire-là",
précise-t-il.
"Dans le 19e arr. il y a cet adolescent qui s’est fait frapper l’an dernier, il a été victime d’une injustice. Je pense encore à lui".

Le règne de l'omerta

Il n’y a pas de traîtres dans la police. La police est un clan.

 

Valentin Gendrot

Ce qu’il fustige le plus, au-delà de la violence devenue ordinaire et banale, c’est le silence, entre collègues, celui des cadres, celui des syndicats :  le règne de l’omerta.
"Il n’y a pas de traîtres dans la police. Si vous êtes témoin d’une violence policière que vous la cautionnez ou pas, on ne balance pas. La police est un clan. Tout le monde se tait. La hiérarchie policière n’est pas sur le terrain. Ils sont dans leur bureau et prennent des décisions : Quelle opération ? Quel type d’intervention ? Les gardiens de la paix, ceux qui sont sur le terrain sont parfois livrés à eux même. Il peut se passer tout et n’importe quoi notamment dans les" zones grises", les moments, comme les interventions ou les gardes à vue, qui ne sont ni écrites ni dites. Il n’y a pas de traces. J’ai assisté à des gardes à vue comme le premier jour où j’ai débarqué dans le commissariat. Un homme demande à aller aux toilettes. Il appelle, il tape une fois deux fois et trois fois sur la porte de la cellule car c’est urgent. Un policier arrive, le sort de la cellule et le frappe. Ce jour-là, ça s’est passé comme cela. Je ne dis pas que tous les jours dans ce commissariat tous les gardés à vue sont frappés mais ce jour-là j’ai assisté à cela. J’ai également été témoin de 3 ou 4 tabassages de migrants dans un fourgon. C’est une réalité. Je ne suis pas un romancier, je suis journaliste. Je relate des faits que j’ai vus et vécus", justifie-t-il.
 

Les comportements racistes, violents ou sexistes sont l’objet d’une minorité.

Valentin Gendrot


Au cours de ces deux années, son regard sur la police a changé. Il souhaite en tirer des enseignements. "Ce boulot n’est pas facile, c’est un des pires. Il faut être armé psychologiquement. Vous faites face à la misère humaine, sociale et cela tous les jours et dès votre prise de fonction en début de journée. Contrairement à ce que l’on peut penser, mon regard sur les policiers porte beaucoup d’empathie.  Et je le répète, les comportements racistes, violents ou sexistes sont l’objet d’une minorité. Cette minorité-là doit être sanctionnée voire révoquée. Une majorité de policiers n’est ni raciste ou violente. Et ils pâtissent des agissements des autres".
 


Il souhaiterait que sa publication soit utile. "Qu’elle fasse bouger les lignes ! Que l’omerta concernant les violences policières prenne fin. Il va bien falloir que les syndicats policiers s’emparent de cette réalité, arrêtent leur langue de bois. Il faut appeler un chat un chat", s'exclame-t-il. "J’espère aussi que le ministre de l’Intérieur va se rendre compte que la formation pose problème. Après 3 mois d’école, vous avez une habilitation à porter une arme sur la voie publique. Pareil pour la prise en charge des violences conjugales, le cours n’a duré que 3 heures. Dont 2 heures de film ! Idem pour le rôle de l’IGPN, Il est temps d’avoir plus de transparence. Contrairement à la Grande-Bretagne, en France ce sont des policiers qui contrôlent des policiers. Ce qui explique qu’une partie de la population a le sentiment d’impunité. J’espère que ce livre pourra faire baisser la température et rétablir un lien de confiance entre la police et les habitants. Il faut que l’on ait un débat de société serein", espère-t-il.

Et de poursuivre :"La police va mal, en tous les cas dans le 19ème arr. mais elle ne parle pas Ce qui est révélateur c’est que certains syndicats policiers approuvent ce que je raconte dans le livre sur les conditions de travail, et le mal être des fonctionnaires mais dès que j’aborde les violences policières, je deviens un militant, un gauchiste. Cela montre bien que la police met le couvercle sur ces affaires là. Rien ne changera s’il n’y a pas une prise de conscience policière. Je n’ai pas écrit un livre anti-flic mais il pose 2 vraies questions de société : le malaise policier et les violences policières", conclut-il.

Contacté le syndicat des gardiens de la paix, Alliance n’a pas souhaité s’exprimer sur le livre, ne voulant pas lui faire de publicité selon les termes utilisés par notre interlocuteur. Le SCSN, le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure n’a pas donné suite à notre demande d’interview "faute de disponibilité".

Emmanuel Poupard, Premier secrétaire général, du SNJ, le Syndicat des journalistes, a salué le travail effectué par Valentin Gendrot. "Ce n’est pas la première fois que des journalistes utilisent des caméras cachées ou travaillent en immersion, Florence Aubenas par exemple pour ne citer qu'elle. Cet exercice est très particulier et rare. Cela permet aux journalistes d’être pleinement à la place des personnes concernées, de raconter ce qui  se passe réélement dans un contexte qui nous échappe parfois. Quand on dit que nous sommes journaliste, les personnes modifient leur comportement ou leurs paroles. Le fait d’être en immersion est un bon moyen pour dénoncer ce qui doit l’être", explique-t-il répondant à certaines critiques portant sur travail en immersion de Valentin Gendrot.







 
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