Depuis 10 ans, Veronica Antonelli, chanteuse lyrique de 49 ans a créé le concept "Montmartre (en)chanté". Elle guide les visiteurs dans les rues du quartier parisien qu'elle fait visiter en chansons. "Une façon de découvrir le patrimoine à travers son acoustique", explique-t-elle.
"C'est vivant, j'aime bien le chant et en plus c'est la première fois que j'entends une personne chanter pour de vrai, pas à la télé", s'enthousiasme Aron. Le jeune garçon est venu en famille du Val-d'Oise pour suivre une visite guidée du quartier de Montmartre, un peu particulière.
Devant la bouche de métro des Abbesses, Veronica attend la quinzaine de personnes inscrites pour la visite. Elle est vêtue d'une grande cape rouge qu'elle déploie comme des ailes en chantant durant l'excursion sur la butte.
Sur la place des Abbesses, les cloches de Saint-Jean de Montmartre résonnent. La visite débute avec un peu d'histoire. Veronica raconte l'édification de l'église. "On est en 1880, après la Commune. Le curé décide de faire construire une église, mais il voulait qu’elle soit construite en béton armé", explique la soprano. "À l’époque personne ne croyait que ça allait tenir. Il y a eu 20 ans de procédure au tribunal et en 1904, est née Saint-Jean de Montmartre", raconte-t-elle.
À l’intérieur de l'église, Veronica surprend les touristes qui visitent le lieu. Sa voix puissante retentit entre les murs. Ceux qui l'aperçoivent et l'entendent sont emballés. Tous s'arrêtent un moment pour écouter son interprétation de l’Ave Maria de Gounod. "Ça apporte une sonorité, une dimension qui n'est pas la même que quand on parle", reconnaît Jean, qui avec sa femme Chantal, a choisi de profiter de leur retraite à Paris. "Les effets sonores sont impressionnants", explique-t-il, "comme lorsque le son de la voix monte ou descend et qu'il est répercuté avec l'écho". "Ça apporte une autre construction à la visite et la musique apporte un autre sentiment", précise le nouveau retraité.
Le groupe grimpe vers rue Androuet au rythme de "Prendre garde à toi" de Carmen, reprise en chœur par les visiteurs. Mondialement connue pour être la rue de l’épicerie d’Amélie Poulain, elle est aujourd’hui devenue le passage obligé d'une visite du quartier.
Durant une heure trente, la visite dans les ruelles montmartroises rend hommage à Dalida, en entonnant "O mio babbino caro", rue d'Orchampt, là où vivait la diva italienne. Place Marcel-Aymé Veronica interprète un chant folklorique chinois du XVIIIe siècle, et "Le temps des cerises" égaye l'arrivée devant le Sacré-Cœur.
De Dalida à Puccini
Formée au conservatoire de Toulouse, Veronica Antonelli croise Claude Nougaro en 1996… à Montmartre. "Il m'a dit de chanter sans accompagnement. (...) Mais un chanteur lyrique ne chante jamais a cappella", raconte-t-elle.
Des années plus tard, en Sicile, l'artiste chante de nouveau sans instrument, cette fois dans une cathédrale. Quelques années ensuite, c'est en Arizona que sa passion se confirme : "Je me suis rendu compte que ma voix était transformée par les roches", se souvient la chanteuse. Depuis, l'artiste cherche "à valoriser le patrimoine, au moyen" de sa voix a cappella, tout en essayant "de transmettre des émotions".
"J'utilise les forces naturelles de chaque lieu en me mettant au rythme du lieu dans le but de le valoriser". "Je me mets en vibration avec mon environnement et j’interprète a cappella des airs d’opéras baroques ou sacrés". Dans l'église Saint-Jean de Montmartre, la chanteuse explique au groupe de visiteurs son travail sur l'acoustique. "Il s'appuie sur le volume du lieu mais aussi sur le bois qui couvre le sol, et avec les contre-allées avec lesquelles je joue", précise-t-elle.
Sur la place Marcel-Aymé sa voix vibrante résonne lorsqu'elle entonne a cappella le chant folklorique chinois. "Ici le son descend et revient alors qu'en général, et c'est confirmé par le laboratoire Prism du Cnrs avec lequel je travaille, le son comme la chaleur monte, sauf que là ça descend et ça remonte et ça offre une acoustique vraiment exceptionnelle", se réjouit la chanteuse.
Anecdotes historiques et chant lyrique
Martine est emballée par cette visite d'un quartier qu'elle connaît pourtant très bien. A 75 ans, elle est née et habite toujours le quartier. "J'avais envie de faire découvrir Montmartre à mon amie qui n'est pas d'ici", explique-t-elle. Toutes les deux aiment se promener dans Paris et la proposition de découvrir le quartier en chansons les a attirés. "Veronica chante magnifiquement, elle a une voix puissante qui résonne dans les lieux où nous sommes passés". "C'est incroyable, je connais ces endroits depuis que je suis enfant et grâce à la visite d'aujourd'hui je les ai vus autrement", estime Martine.
Même enthousiasme pour Eva, qui tient une galerie sur la butte. "Je connaissais Veronica parce que de temps en temps elle passe dans la rue où je travaille et quand elle chante, c’est toujours les Highlights de mes journées". "Je trouve très rafraîchissante sa manière de guider et la force du chant rend tout absolument magique. C’est une vraie artiste, une femme extrêmement cultivée, elle offre autre chose qui n’est pas une connaissance livresque. Elle vie l’art et l’émotion", confie Eva.
Bruno fait du reggae et a sorti plusieurs albums. Il apprécie le travail que la guide effectue autour du son. "La musique, le chant, c'est quelque chose qui parle à tout le monde et c'est un angle d'attaque pour découvrir l'histoire qui est très intéressant mais que l'on n'utilise pas trop". "Je me dis que c'est un truc, qu'on devrait peut-être plus vulgariser", observe-t-il.
Le temps gris et pluvieux n'a pas rebuté les visiteurs. Sous son parapluie, Eva affirme que "malgré la pluie, Veronica arrive à créer l’illusion qu’il fait soleil".