INTERVIEW. "La France est une république bananière en matière de lutte contre la pédocriminalité" dénonce Arnaud Gallais

Pour Arnaud Gallais, qui fait partie des 330 000 victimes dans l'Eglise recensées par le rapport Sauvé, les récentes révélations d'agressions sexuelles commises par l'aumônier catholique de l'hôpital Cochin à Paris sont la preuve de l'inaction de l'Etat en matière de pédocriminalité.

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Ce mardi, le mouvement Be Brave, qui réunit des victimes de violences sexuelles survenues pendant leur enfance s'est mobilisé devant l'hôpital Cochin. Venus pour sensibiliser le personnel soignant de cet établissement de l'AP-HP, ils dénoncent l'impunité et l'inaction de l'Eglise et des pouvoirs publics face aux auteurs de violences sexuelles.

Un hôpital loin d'être choisi au hasard, car c'est ici qu'exerçait la semaine dernière encore l'abbé Guillaume Seguin, condamné par l'Eglise à une interdiction d'exercer ses fonctions ecclésiastiques pendant cinq ans, à l'exception de l'aumônerie de l'hôpital Cochin. Cette interdiction faisait suite à des accusations d'agressions sexuelles sur des mineurs, dont un ancien élève du lycée parisien Stanislas. Suite aux révélations du Monde et de Golias, l'aumônier a été suspendu à titre conservatoire par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

Pour Arnaud Gallais, co-président de Be Brave et lui-même victime de violences sexuelles par un prêtre de ses 8 ans à ses 11 ans, cette suspension n'est pas suffisante.

Quel est le sens de votre mobilisation devant l'hôpital Cochin ?

Arnaud Gallais : Nous voulons alerter les pouvoirs publics sur le fait que l'Etat doit agir. Une fois de plus, le gouvernement est aux abonnés absents lorsqu'il s'agit de pédocriminalité dans l'Eglise.

L'abbé Seguin est en poste à l'aumônerie de l'Hôpital Cochin, alors même qu'il a été condamné par le tribunal ecclésiastique à une interdiction d'accompagnement spirituel et de confession jusqu'en 2025, sauf à l'aumônerie de l'hôpital. Il faut qu'on m'explique ! L'hôpital est un endroit où il y a des gens vulnérables, dans quelle mesure ce n'est pas faire prendre un risque à ces gens que de les laisser avec une personne comme ça ?

Et pourtant malgré le signalement de l'archevêque de Paris auprès du Parquet de Paris, l'affaire est classée sans suite en décembre 2020.

A.G : Le classement sans suite n'est pas étonnant. Trois victimes sur quatre qui portent plainte voient leur affaire classée sans suite. Ce qui ne veut pas dire que ça n'a pas eu lieu, mais que les éléments n'étaient pas suffisamment caractérisés, bien qu'ils le soient assez pour l'Eglise puisqu'elle a prononcé une sanction à son égard.

De plus on se rend compte que l'Eglise a eu connaissance des faits en 2015 avec une première plainte, et qu'il a fallu attendre 2018 et une deuxième plainte pour qu'elle se prononce enfin. Il a fallu trois ans pour réagir, d'autant que l'abbé continuait d'exercer dans un groupement scolaire, là où les faits se sont déroulés. On vit sur quelle planète, la non-dénonciation de crime est un délit en France !

Que demandez-vous aujourd'hui ?

A.G : Nous voudrions que le ministère de la Santé se saisisse du dossier et ouvre une enquête pour savoir si des faits de cette nature ne se sont pas déroulés à l'hôpital Cochin. De la même manière, le ministère de l'Education doit réagir, alors que le rapport Sauvé a montré que 30% des abus sexuels commis par des membres de l'Eglise se déroulaient dans des écoles privées sous contrat. Il faut qu'il fasse la lumière pour savoir s'il n'y a pas eu d'autres cas dans l'école Stanislas.

Nous demandons également que le ministère public s'autosaisisse et poursuive le diocèse de Paris pour dissimulation et non dénonciation de crimes.

Arnaud Gallais

Il est temps que les personnes qui sont là pour nous protéger et nous gouverner arrêtent avec leur silence assourdissant. C'est pourquoi nous demandons également que le ministère public s'auto-saisisse et poursuive le diocèse de Paris pour dissimulation et non dénonciation de crimes.

Nous avons une secrétaire d'Etat en charge de l'Enfance, ça serait bien qu'elle soit la garante de cette réponse. Cette situation me bouleverse, la France est une république bananière en matière de lutte contre la pédocriminalité alors que le rapport Sauvé parle de plus de 330 000 victimes depuis 1950, soit treize enfants abusés chaque jour. 

Enfin nous demandons que le diocèse de Paris rembourse à l'Etat français les salaires perçus par Guillaume Seguin, c'est une peine supplémentaire pour les victimes de savoir que ce sont nos impôts qui financent la rémunération d'une personne qui est interdit d'exercer ailleurs.

Deux ans après la publication du rapport Sauvé, vous avez le sentiment que les choses ont changé ?

A.G : Non, je trouve qu'il y a une absence de réaction de l'Etat, du gouvernement et du président de la République. Le rapport fait état de plus de 330 000 victimes, pour nous ce rapport a été un véritable tsunami. J'ai le sentiment que nous n'avons été qu'un chiffre et que nous avons été complètement déshumanisés.

Guillaume Seguin a été suspendu à la suite des révélations du Monde et de Golias, est-ce suffisant selon vous ?

A.G : Il s'agit d'une suspension à titre conservatoire, mais ce n'est même pas en vue d'un licenciement. C'est une blague ? Leur réponse n'est pas claire, pas satisfaisante. L'AP-HP doit se demander si cette décision est en accord avec leurs valeurs ? Je pense que l'hôpital public doit être le garant de la sécurité des personnes les plus fragiles. Il faut ouvrir une enquête, et peut-être que d'autres victimes parleront. Il y a en déjà deux, c'est très souvent le signe qu'il y a en d'autres.

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