Une commission d'experts a validé un projet présenté par le diocèse de Paris qui vise à réaménager en profondeur l'intérieur de la cathédrale Notre-Dame. Mais selon le fondateur de La Tribune de l'art, le projet reste flou et le ministère de la Culture garde la main sur ces décisions.
Les experts du patrimoine ont "validé un programme qui comprend un certain nombre de principes. Ils se sont notamment mis d'accord sur l'axe liturgique central et le mobilier (baptistère, autel, tabernacle) qui devra être conçu par un même créateur", a expliqué le sénateur (LR) Albéric de Montgolfier, président de la commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA) au sein de laquelle les experts se sont réunis.
Le ministère de la Culture, a affirmé de son côté que des œuvres contemporaines devraient bien prendre place dans l'édifice mais "aucun nom d'artistes n'est encore arrêté", a-t-il insisté. Le père français de l'art urbain Ernest Pignon-Ernest, Anselm Kiefer ou Louise Bourgeois ont été évoqués pour "dialoguer" avec des tableaux de maîtres anciens comme les frères Le Nain ou Charles Le Brun.
"C'est beaucoup plus nuancé que ce que dit le ministère de la Culture", affirme de son côté Didier Rykner, historien et fondateur de La Tribune de l'art. Selon lui, "la commission est consultative, le ministère peut faire ce qu'il veut. Par ailleurs, la commission ne s'est pas prononcée, ni sur l'apport d'art contemporain dans les chapelles, ni sur les projections sur les murs car cela ne touche pas aux monuments à protéger."
Projet préparé "en catimini"
Ce projet, préparé depuis des mois par le diocèse de Paris, a été fait "en catimini" selon Matteo Ghisalberti, journaliste au média Fild et auteur d'une enquête (réservée aux abonnés) sur le sujet. Selon lui, le diocèse "a profité de la rénovation de la cathédrale pour intervenir à l'intérieur alors même qu'il n'y a pas tant de dégâts qui ont été provoqués par l'incendie".
Ce journaliste s'est procuré des images du projet en question. Elles ont été diffusées par erreur par le père Drouin, un prêtre que l'ancien archevêque de Paris a nommé pour réfléchir à l’organisation des espaces liturgiques et de culte de la cathédrale.
Sur ces images, on peut voir ce fameux parcours aéré pour touristes et fidèles du monde entier autour d'un axe central épuré, de la nef au chœur. Le lieu accueille pas moins de 2 400 offices et 150 concerts par an. Les 14 chapelles seraient nettoyées, ce qui devrait permettre de redécouvrir les "Mays", ces grands tableaux d'autel commandés chaque année à de grands artistes, entre 1630 et 1707, par la corporation des orfèvres qui les offrait à la cathédrale.
Par ailleurs, selon des images qui ont pu être consultées par France 3 Paris Ile-de-France, le projet soumis à la commission prévoit la pose d'une œuvre contemporaine (voire deux) dans chacune des chapelles. "Je suis toujours inquiet quant à ces projections. Puis mettre une œuvre d'art dans chaque chapelle, c'est un peu lourd je pense. J'ai cru comprendre que l'on s'orientait davantage vers des tapisseries modernes", précise M. Rykner.
Réserves quant à certains points
Cependant, les experts mandatés ont émis des réserves sur deux points. D'abord, sur "les bancs à roulettes, dotés de luminions (de petites lumières posées sur les bancs, ndlr)", précise le sénateur Albéric de Montgolfier. Un prototype sera de nouveau soumis à la commission.
Ensuite, les experts s'opposent également au déplacement de statues de saints du XIXe siècle datant de Viollet-Le-Duc (architecte à qui fut confiée la restauration de la cathédrale à partir de 1844) qui se trouvaient sur les autels des chapelles et que le diocèse avait envisagé d'installer le long des grands piliers de la cathédrale.
Enfin, "ils s'opposent également à la transformation du chœur en espace de prière, craignant que le sol, qui date du XVIIIe siècle, ne soit abîmé par le passage des fidèles et des touristes", a poursuivi le sénateur.
Virulentes critiques
Le réaménagement liturgique de Notre-Dame a suscité de virulentes critiques. De telles propositions "dénature(nt) entièrement le décor et l'espace liturgique", étrillent une centaine de personnalités, dont l'animateur Stéphane Bern ou le philosophe Alain Finkielkraut, dans une tribune publiée mercredi dans Le Figaro et la Tribune de l'Art. "Respectons l'œuvre de Viollet-le-Duc, respectons le travail des artistes et des artisans qui ont œuvré pour nous offrir ce joyau", ajoutent-ils, dénonçant un projet où selon eux "bien souvent la niaiserie le dispute au kitsch".
Pour Didier Rykner, le clergé français "ressent le besoin d'être moderne. Ils veulent faire jeune, en fait ils sont ringards. L'Église a 2000 ans d'Histoire, on peut éventuellement faire évoluer les choses, mais pas contre ce qu'il y avait avant. Un patrimoine a été légué, on ne peut pas vouloir le mettre à la poubelle parce que l'on veut faire différemment".
Selon le journaliste Matteo Ghisalberti, il s'agit "de la première fois que l'on réaménage l'intérieur de la cathédrale. Viollet-Le-Duc l'avait fait mais en respectant le lieu". L'auteur y voit un geste du diocèse de Paris pour "se rapprocher de la catéchèse du Pape François qui est très mondialiste".
Et d'ajouter : "La cathédrale est un monument gothique, donc il y fait sombre. Faire des expérimentations, c'est une belle chose. Mais il y a tout un tas d'églises modernes, pas très belles, que l'on pourrait valoriser. Mais je ne pense pas que les milliers de donateurs vont se retrouver dans le projet".