Le théâtre des Déchargeurs menacé de disparition à Paris, les représentations annulées

Opération immobilière au cœur de Paris ou échec commercial : l’avenir du théâtre des Déchargeurs va se jouer au tribunal de commerce de Paris. Sa direction va déposer un dossier de liquidation judiciaire dans les prochains jours.

"Je ne signerai aucun contrat de CDD … la reprise en septembre n’est plus certaine d’être assurée" : c’est par ces mots et par mail que les salariés en contrats à durée déterminée (CDD) ont appris de leur directeur que le théâtre des Déchargeurs dans lequel ils travaillent cessera son activité à la rentrée. 

Situé dans le 1er arrondissement de Paris, il accueille des spectacles tout au long de l'année, et particulièrement des jeunes auteurs pour des œuvres contemporaines. C’est la stupéfaction pour la bonne dizaine de salariés et les quarante compagnies qui répétaient en plein été leurs pièces pour les jouer le mois prochain.

Une pétition a été lancée pour demander que les représentations continuent jusqu'à la fin de la saison.

Pas payés depuis mai

Les 13 salariés, six sous le statut de l’intermittence, sept en contrat à durée indéterminée (CDI), se retrouvent sans salaires à partir de juillet. Leur directeur n’est plus en mesure de les payer par manque de trésorerie. Sébastien Ventura, comédien de la compagnie Les Impertinents Collectif, ne cache pas sa déception : "Pour moi, c’est 16 dates qui partent en fumée, alors que j’avais d’autres propositions. Mais j’avais fait ce choix car je misais sur ces représentations parisiennes pour faire venir la presse et les programmateurs d’autres salles de la capitale. Cela devait me permettre d’organiser toute mon activité professionnelle sur 2023/2024."

Et d'ajouter : "Ce théâtre est une opportunité pour toutes les jeunes créations contemporaines, ce qui est exceptionnel à Paris. Aux Déchargeurs, on ne demande pas d’avoir une mise de départ. Il y a un partage de recettes, c’est très important pour les jeunes compagnies car nous ne perdons pas d’argent. Au sein de la compagnie, nous sommes quatre : un créateur sonore, un régisseur et une metteur en scène. Nous avions joué en juillet dernier lors du Festival des Débardeurs. Nous ne savons pas si nous serons payés. D’autres troupes ne sont pas payées depuis mai !"

Succession de crises

Le jeune directeur de 23 ans et gérant, Adrien Grassard, qui a repris le théâtre en 2021, explique les difficultés qu’il a rencontrées. "On a passé les six premiers mois à investir à perte. La première année, le taux de remplissage n’était que de 38%. La deuxième année, on a misé sur le retour du public mais le chiffre d’affaires n’a pas franchement décollé. Nous avons bien tenté de mettre en place un bar pour compenser le fait qu’on ne demande pas d’argent aux compagnies car nous partageons les recettes, mais cela n’a pas suffi. La crise du Covid, la guerre en Ukraine, la réforme des retraites avec les poubelles qui brûlent devant le théâtre ne nous ont pas aidées."

Pour conclure, les difficultés de la mise en place des contrats de co-réalisation (c’est-à-dire avec un partage de recette équitable, sans "minimum garanti" imposé aux compagnies), ont, selon lui, mis en péril l'existence du lieu.

Vente à un promoteur immobilier

Mais ce qui interroge les collaborateurs du théâtre, c’est la vente, au printemps dernier, des murs et de l’ensemble des immeubles autour du lieu culturel, à un promoteur immobilier. La situation géographique de ce patrimoine très prisé fait penser à certains que la cessation d’activité cache une opération juteuse.

Le programmateur du théâtre des Déchargeurs parle, lui, "d’un problème de gestion". Rémi Prin argumente : "Le chiffre d’affaires de la deuxième année a été bien meilleur que l’an passé."

"D’après nos informations, le théâtre était protégé jusqu’en 2025", enchaîne Sebastien Ventura, comédien et directeur artistique de la dernière création "Tempête".

"Avec mon avocat Me Frédéric Groshenny, nous précise Adrien Grassard, nous sommes en train de constituer un dossier que nous déposerons dans les prochains jours au tribunal de commerce de Paris, pour demander la cessation d’activité. D’ailleurs, ce soir, je viens de signer les huit contrats en CDD jusqu’en décembre car il y avait promesse d’embauche. Je sais que je ne peux pas les payer mais avec la procédure judiciaire, de redressement ou de liquidation, les salaires pourront être pris en compte par l’ AGS, le régime de garantie des salaires."

Et lorsqu’on interroge sur une possible opération immobilière, le directeur et gérant du théâtre des Déchargeurs explique : "Nous étions en discussion avec Holfim, comme un propriétaire avec un locataire, mais il n’a jamais été question de cession. Quoi qu’il en soit, il s’est engagé à garder un lieu de culture même après 2025."

Inscrit à l'Inventaire des monuments historiques

Construit en 1708 par un membre de la famille Pajot et Rouillé, propriétaire de la Poste, à l'époque entreprise privée, ce site est inscrit à l'Inventaire des monuments historiques depuis 1925 pour ses façades sur rue et sur cour. Son escalier monumental et sa cage du XVIIIe siècle situés dans la cour principale sont eux aussi classés. À l’abandon dans les années 1970, il est repris par Vicky Messica en 1979, qui en fait un théâtre. Suivent plusieurs propriétaires.

C’est en pleine période Covid qu’Adrien Grassard reprend le flambeau. Deux ans plus tard, il va jeter l’éponge en pleine période de vacances et alors que les 40 compagnies programmées sont en train de répéter leurs spectacles commandés.

Rémi Prin, programmateur du théâtre des Déchargeurs, a lancé un appel aux autres lieux partenaires pour que soient accueillies et reprogrammées ailleurs ces représentations théâtrales.

La mairie de Paris ainsi que le ministère de la culture ont également été alertés de la situation par les salariés.

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