Évènement festif et sportif, la nouvelle édition de la Coupe d'Afrique des nations, la Can, bat son plein depuis le début du mois dans un quartier populaire au nord de Paris. On y discute de ballon rond, mais aussi cette année, de sujets plus politiques.
"Toutes les communautés africaines sont là pour la Coupe. C'est ça la ferveur ! ". Tonitruant, le speaker galvanise la foule. Il est presque 20 heures dans le square Léon au cœur du quartier de la Goutte-d'Or. Ce soir, se jouent ici les quarts de finale de la cinquième édition de la CAN. La Coupe d'Afrique des nations, mais version quartiers.
Les équipes représentant les différentes communautés s'affrontent pour le titre. Des supporters sont assis sur des gradins et d'autres s'agglutinent autour d'un mini-stade cerné par de hautes grilles sur lesquelles sont accrochés les drapeaux des nations engagées dans cette nouvelle édition.
Cette nouvelle édition de la Coupe d'Afrique des Nations des quartiers a débuté il y a un mois à la Goutte-d'Or et se terminera par une finale le 29 juin prochain. À la veille du 1er tour des élections législatives.
"Les élections à venir, ça politise l'ambiance. Hier, j'ai vu à côté des drapeaux, des affiches pour demander aux gens d'aller voter", fait observer Samir, la cinquantaine. Assis à proximité du stade, Samir s'inquiète et se projette au-delà des élections. "Sincèrement moi, ce qui me préoccupe, ce sont les jeunes, comment ils vont réagir ? Ils vont avoir peur. Je redoute cette espèce d'imbécillité qui va se dégager s'il y a un changement ( ...) Moi, je ne suis pas pour le RN, je suis pour les travailleurs", précise-t-il.
Ryan, la trentaine, est venu avec un ami assister à la Coupe pour "penser à autre chose". "La politique, je m'en fous. Mais s'il faut aller voter pour me défendre, je vais voter pour défendre mes droits", lâche-t-il. "Déjà, je suis contre les extrêmes. À droite et gauche, il y a des deux côtés des extrêmes qui sont dans cette élection et ils sont de plus en plus massifs et prêts à faire bouger les choses. Je sais que ce n'est pas la bonne direction."
"Des propositions hors-sol"
Lamine Tandian, l'un des organisateurs de la CAN le reconnaît. Depuis que la dissolution de l'Assemblée nationale a eu lieu le 9 juin pendant le déroulement de la CAN, le sujet politique s'est immiscé quelque peu dans les conversations footballistiques. Au lendemain de la finale de la coupe le 29, il y aura le résultat du 1er tour.
"Je suis surtout déçu de ce qu'est devenue la politique en France. On a l'impression que c'est à la portée de personnes qui n'ont pas de projets réels ( ... ) qu'il n'y a que des propositions hors-sol", commente Lamine qui conteste l'utilité de propositions du programme du RN ou de Reconquête comme le renvoi des immigrés après six mois de chômage ou la suppression du droit du sol... "En quoi ces mesures vont permettre aux Français d'avoir une meilleure condition de vie, il y a absolument aucun rapport. Dans certains coins de France, il y a tout plein de problématiques bien plus majeures comme les déserts médicaux", argumente-t-il.
Au milieu des supporters, Brahim de nationalité algérienne, tente d'apercevoir les joueurs. L'ambiance est montée d'un cran. Joyeuse et bon enfant. Brahim raconte qu'il a une carte de résident. Il travaille et habite dans le quartier de la Goutte-d'Or pour le moment.
"On oublie la politique quand on est là, on regarde le foot, on est entre nous". En parlant des immigrés qui ont une carte de résident comme lui et qui ne pourront pas voter, Brahim précise : "c'est sûr, on n'est pas notre pays, mais d'un autre côté, on travaille. On est là pour ça. On n'est pas là pour prendre le pays. Je suis en peu inquiet. Toutes les personnes que je connais à la Goutte-d'Or sont de gauche". Au sujet de l'obtention de la nationalité française, Brahim s'avance :"quand un enfant naît ici, il va dans une école française. Donc, forcément, il est français."
"Des valeurs de fraternité, liberté et de diversité"
Les spectateurs sont de plus en plus nombreux. Il est environ 21 heures. La voix du speaker annonce le prochain quart de finale et alimente le public en commentaires sportifs.
Pour appeler à aller voter, entre deux proclamations sportives,"on a fait des annonces au micro. On incite les gens à réveiller leur conscience politique. Dans le quartier, on a souvent eu tendance à minimiser tout ça", explique Lamine Tandian, co-organisateur de la CAN. "On leur dit que s'ils sont contents d'assister à ce genre d'événement sportif comme aujourd'hui, c'est parce que celui-ci est porté par des valeurs de fraternité, de liberté et des valeurs de diversité".
On aimerait que la politique soit davantage considérée ici, même chez les plus jeunes, ceux qui ne sont pas encore en âge de voter. Que ça devienne un sujet de discussion.
Lamine Tandian, co-organisateur de la CAN
.
Ces annonces au micro, Kolo venu récemment de Côte d'Ivoire ne les pas encore entendues. C'est la première fois qu'il met les pieds au square Léon pour assister à un match de la CAN. Assis légèrement en retrait, Kolo à peine la trentaine, veut se faire discret.
Sans papier, dans l'attente d'une régularisation, le jeune homme commente avec beaucoup de prudence le climat politique français. "J'ai un petit frère qui vit ici avec sa famille, mais moi, je vis mon côté (... ) je me méfie un peu. Je ne vais pas dans des endroits où il y a du monde, j'ai un peu peur, je ne suis pas encore en règle", souffle-t-il.