Les bistrots inscrits au patrimoine culturel français : "On doit protéger ces lieux de vie, c’est un bien précieux"

Depuis fin septembre, "les pratiques sociales et culturelles dans les Bistrots et Cafés en France" sont inscrites au patrimoine culturel immatériel. Un combat mené par le restaurateur parisien Alain Fontaine et son association, qui espère porter le dossier jusqu’à l’Unesco.

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"Monsieur attend un café", "le plat arrive pour la 8"... Dès qu’on franchit la porte du Mesturet dans le 2e arrondissement de la capitale, on plonge instantanément dans une ambiance de bistrot, en faisant face au comptoir chargé de verres et aux murs remplis de souvenirs et de décorations. Alain Fontaine, le patron, a racheté l’établissement en 2003.

Entre les tables, règnent les bruits de couverts et les arômes d’une cuisine traditionnelle. "Il y a un ADN culinaire du bistrot. Boeuf bourguignon, blanquette, poulet rôti, escargots, grenouilles, tête de veau, faux-filet, rognons, Paris-Brest.. C'est une cuisine familiale", résume le restaurateur.

"On dépasse les 100 couverts par service. Le restaurant, qui a eu plusieurs noms, est né en 1883. C'est l'un des plus vieux bistrots de Paris. La gastronomie et les restaurants tendance, c'est sympa, mais c'est dans les bistrots que je me sens le mieux", raconte-t-il. "Il y a une certaine gouaille, un côté sans filtre", souligne le gérant, dont l’association Bistrots et cafés de France vient d’obtenir l’inscription des "pratiques sociales et culturelles" dans ces lieux à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel français, le 27 septembre dernier.

"Il y a toujours une chaleur humaine"

"On peut citer la devise française : Liberté, Égalité, Fraternité, se lance Alain Fontaine, pour résumer l’esprit des bistrots. On y est libre, les langues se délient. On parle beaucoup et comme on veut, pour dire des bêtises ou des choses très sérieuses. On peut échanger avec des gens qu'on ne connaît pas forcément. Ici, autour d'une table près de l'entrée, des clients qui venaient d'horizons divers et variés se sont rencontrés il y a des années. Ils sont devenus amis et partent en vacances ensemble."

"Nous sommes tous égaux devant un café ou un verre de vin, poursuit-il. Les bistrots sont issus d'une restauration créée par les ouvriers, pour les ouvriers. Le zinc rend les gens égaux, que vous soyez PDG, cadre ou employé de la ville. Pas très loin d'ici, un confrère a reçu Mark Zuckerberg, il y a quelques années. Il n'a a priori pas de problèmes d'argent. Il s'est assis au comptoir, il ne voulait surtout pas manger à table. L'expérience du bistrot, qui fait partie de l'histoire de Paris et de la France, efface les différences de classe et d'origine."

"C'est aussi une expérience fraternelle, ajoute le patron. C’est un catalyseur de sociabilité, les gens s’y rencontrent et s'entraident. Un jour, une cliente a dit à un SDF — qui venait ici quotidiennement prendre son café, depuis des années — que le concierge de son immeuble partait à la retraite. Elle lui a proposé de prendre sa place, et d'être logé. Aujourd'hui, il est concierge pour deux immeubles. Quand vous avez un coup de mou, les potes du bistrot vous remontent le moral. Même pour les gens de passage, il y a toujours une chaleur humaine."

Le gérant souligne aussi le symbole parisien qu’est le bistrot : "Parmi les établissements historiques, on peut citer le Vaudésir, le Procope... À Paris, le bistrot a ce rôle de restaurant d'entreprise dès la fin du 19e siècle et jusqu'à plus de la moitié du 20e siècle. Il est aussi une source d'inspiration pour les artistes comme Sautet, Chabrol ou Melville. Il y a encore aujourd'hui d'innombrables petits cafés dans leur jus, extrêmement vivants. Et les jeunes s'accaparent cette force."

"Entre 2000 et 2023, on a perdu plus de 20% de bistrots dans la capitale"

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"On doit protéger ces lieux de vie, c’est un bien précieux", répète Alain Fontaine, qui déplore la disparition de nombreux établissements. "On comptait 500 000 bistrots en France en 1900, aujourd'hui moins de 40 000. Entre 2000 et 2023, crise du Covid comprise, on a perdu plus de 20% de bistrots dans la capitale. Il y a 40 ou 50 ans, on en comptait entre 5 000 et 6 000 à Paris, aujourd'hui il y en a un peu plus de 1 000. Mais cette tendance n'est pas définitive. Ce vivre-ensemble reste en nous, dans notre vie de tous les jours. On veut alerter les pouvoirs publics pour faire en sorte que les établissements qui ferment soient repris", explique-t-il.

"L'inscription au patrimoine immatériel doit aussi permettre de faire des expositions et des conférences, particulièrement dans les lycées hôteliers et les centres de formation d'apprentis pour promouvoir le métier de bistrotier. C'est prenant et chronophage, mais c'est un beau métier de dialogue et de partage", poursuit le gérant, qui souhaite que "les gens retrouvent le chemin du bistrot".

Son association espère porter le dossier au niveau international, jusqu’à l’Unesco. "C'est un véritable objectif. Dans le monde, on ne retrouve pas ailleurs la même liberté d'esprit. Les seuls qui peuvent se rapprocher de nous avec la même capacité de rassembler l'humain autour de n'importe quelle idée, ce sont les pubs irlandais. Les bistrots, c’est un savoir-vivre français très identifié. On peut s'opposer sur tout, mais en se rassemblant dans certains lieux", professe le restaurateur.

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