"Les lettres ordinaires" d'Adrianna Wallis redonne vie aux lettres perdues

L'artiste Adrianna Wallis s’est interrogée il y a quelques années sur le destin des lettres qui ne peuvent atteindre leurs destinataires en raison d'une erreur sur l'adresse. Cette réflexion l’a mené aux Archives nationales pour une exposition qui questionne l'intime et l'universel.

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Où vont les lettres perdues quand on ne peut pas les acheminer à leurs destinataires ? C’est la question que s’est posée Adrianna Wallis. Quand elle s'est renseignée auprès de la postière de son village, celle-ci lui a répondu énigmatique "ça va à Libourne". "Intriguée, j’ai fait des recherches pour en savoir plus et j’ai découvert qu'à Libourne [une commune située dans le département de la Gironde] il existait un service dédié aux lettres égarées" explique-t-elle .

Quinze personnes travaillent dans la salle des lettres ordinaires du "service client courrier" de Libourne. Les lettres qui n'ont pas pu atteindre leurs destinataires sont ouvertes à la recherche d’indices sur l’expéditeur ou le destinataire et lorsque les employés ne trouvent pas d'indices, les courriers sont détruits puis recyclés.

"Deux semi remorques, plein de courrier sans destinataires, arrivent tous les jours dans ce centre", poursuit-elle. "C'est là qu’échouent les lettres impossibles à acheminer. Des documents administratifs, des factures...c’est aussi là qu’arrivent les lettres adressées au Père Noël".

"La Poste m'a donné l’autorisation de passer une semaine dans le centre. Le premier soir j’ai fait les poubelles du tri et dans cette poubelle j’ai trouvé des trésors ! "Un matériel fou pour mon travail ", "ce qui m’intéressait c’était les lettres manuscrites."

"J’ai convaincu la Poste de me confier ce matériel pour qu'il devienne la matière première de mes œuvres. A raison d'un carton tous les trois mois, j'ai reçu 20 000 courriers daté de 2016 à 2020. Dans ces cartons, j'ai fait des découvertes, ressenti des émotions, il y a certaines lettres dont je connais des passages par cœur, confie-t-elle.


"J'ai par exemple trouvé une lettre d'un enfant qui écrivait à ses parents de colonie, à la fin de la lettre l'enfant demandait "c'est quand qu'elle fini la colo?". C'était émouvant, on entrait dans l'intimité de cette famille", explique-t-elle.
 

On a l'impression d'être dans les coulisses de la vie, de voir ce qu'il y a derrière...

Adrianna Wallis



"Dans une autre lettre, une femme parlait crûment de sexualité, à la fin de la lettre on découvrait qu'elle vivait en maison de retraite, tout à coup, j'ai réalisé que j'avais été prise au piège de mes propres clichés". En lisant, je comprenais que toutes ces lettres, c’était la vraie vie, un matériel extraordinaire.

"Je me suis toujours intéressé à l’intime dans mon travail", explique Adrianna Wallis "et j'avais envie de partager ces mots, de faire vivre ses lettres, qu'elles ne restent pas dans le silence". "Aux Archives nationales, j'ai souhaité que cette émotion soit partagée". Plus de 120 lecteurs vont se relayer jusqu'à la fin de l'exposition pour lire des lettres que personne n'avait jamais lues. Les gens qui lisent ne sont pas des acteurs, ce sont des gens ordinaires. Autour d'eux, les visiteurs de l'exposition se rassemblent pour passer un moment à les écouter.

Les liseurs d'Adrianna Wallis, font entendre la voix des lettres perdues

Marc a souhaité participer à cette expérience, il s'est prêté à l'exercice et pour quelques heures, il est devenu un "liseur" comme les dénomme Adrianna Wallis.

"J’ai écouté une lecture à l’automne dernier dans les locaux des Archives nationales et j'ai trouvé formidable cette expérience menée par Adrianna Wallis". "C’est la qualité et la puissance des textes qui m'ont touché et cette émotion je l'ai retrouvée aujourd'hui en tant que lecteur", explique-t-il.

"Ces lettres d'amants qui se séparent, de détenus, de querelles de famille m'ont bouleversé, à certains moments les larmes me sont venues aux yeux". "Il y a aussi dans certains cas des lettres qui ne sont pas destinées à être lues, le destinataire les envoie à une adresse imaginaire comme une bouteille à la mer." "Par exemple, il y a une lettre d’une femme qui parle de son dépit amoureux, elle vide son sac et pourtant le destinataire ne recevra jamais cette lettre. Sur l’enveloppe cette missive est adressée à Monsieur Trouduc", rigole-t-il.

Toutes ces lettres sont pour Adrianna Wallis un matériau précieux qu'elle continue à explorer : tandis que les liseurs chuchotent sous les dorures de l'hôtel de Soubise, une vidéo tourne en boucle dans la salle d'à côté où, tour à tour, plusieurs employés très émus du centre de Libourne, improvisent une réponse à une lettre de rupture.

L’œuvre d’Adrianna Wallis explore le langage, le pouvoir de la parole, la transmission, la mémoire, le lien particulier ou universel entre les hommes.


Les lettres ordinaires d'Adrianna Wallis / Exposition et performance aux Archives nationales (hôtel de Soubise) du 5 septembre au 16 novembre 2020.  Exposition et lecture du mercredi au dimanche de 14h à 17h30. Il est possible que l'exposition soit prolongée, se renseigner au 01 40 27 60 96.
 
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