La Louve : le supermarché participatif prépare discrètement son ouverture

La Louve, supermarché où les clients s’engagent à travailler en coopérative, prépare son ouverture officielle cette année. Une première dans le genre à Paris, préparée en toute discrétion, alors que la maire de Paris Anne Hidalgo doit le visiter mercredi.

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Accéder à des prix 20 à 40 % inférieurs aux grandes surfaces, contre trois heures de travail par mois. Le concept de La Louve, « premier supermarché coopératif et participatif » de la capitale, peut être alléchant pour les déçus du chariot et de la grande distribution.
Pourtant, difficile d’accéder aux premiers passages en caisse. En phase de test depuis novembre 2016, au cœur du 18ème arrondissement, le magasin ne préfère « pas d’images ». Devant l’entrée de service à l’arrière, seule ouverte pour la période de rodage, l’accès est difficile.

Pas envie de communiquer ? Même pas besoin, selon le responsable presse : « Il y a actuellement plus de six semaines d’attente pour ceux qui souhaitent rejoindre la coopérative. Par conséquent nous limitons la communication pour ne pas être submergé de nouvelles demandes. » Bon, aussi pour éviter de faire de la « mauvaise pub » en montrant certains stands encore un peu vides, d’après certains membres.

En tout cas, avec déjà 4.000 « coopérateurs » (à la fois clients et gérants), le succès serait déjà assuré avant même l’ouverture, prévue dans la foulée de cet été.  Mais sous cette communication peu transparente, La Louve pose tout de même plusieurs questions : la mixité sociale, l’intérêt des habitants du quartier, et le choix des produits.

#1 La Louve, un supermarché « bobo » ?

Alors que le 18ème, arrondissement en pleine gentrification (l’embourgeoisement urbain des quartiers historiquement populaires, ou « boboïsation » pour être caricatural), l’installation de La Louve interroge. Surtout que le supermarché porte un projet communautaire, qui vise à « recréer du lien » dans le quartier.

« C’est un risque possible, mais le sujet est trop sensible pour qu’on passe à côté et qu’on laisse le projet se “boboïser” », assume Alban Ouahab, coopérateur habitant dans le 13ème arrondissement. Concrètement, les plus modestes ont la possibilité d’investir 10 euros pour pouvoir devenir coopérateur et accéder au magasin, au lieu des 100 euros normalement demandés.

« Mais ça se jouera surtout sur le long-terme, prévient Alban. Le temps que l’information se diffuse dans le quartier, que les habitants découvrent, et comprennent le concept… Les nouveaux inscrits vivent très souvent dans le quartier. » Une information plutôt confirmée à l’entrée du magasin : sur les quatre coopérateurs croisés, deux habitaient à proximité.

Même si la question de la mixité sociale et culturelle risque de se régler au long-cours, l’initiative est accueillie avec bienveillance par les acteurs associatifs de la distribution alimentaire :
  • Du point de vue des épiceries solidaires, réservées aux personnes touchant de faibles revenus, avec Johanna Goncalves (travailleur social au Marché solidaire, dans le 14ème) : « A priori c’est plutôt positif. Dans les épiceries, on accueille des personnes en difficulté financière : on fournit un coup de pouce, une aide temporaire pour permettre de concrétiser des projets (comme rembourser une dette, ou économiser pour partir en vacances)… Donc on ne vise pas le même type de public. On a une visée plus sociale. »
  • Mais aussi du côté de la Banque Alimentaire, fournisseur des épiceries, avec Philippe Nieto (administrateur en Île-de-France) : « C’est un complément. Nous, on touche les gens qui n’ont vraiment rien, qui sont dans le besoin. La Louve vise aussi des gens qui travaillent, des consommateurs avertis. Le concept de supermarché participatif vient du Park Slope Food Co-op, à Brooklyn (Etats-Unis). Vous imaginez bien que ce n’était pas les SDF new-yorkais qui pouvaient se payer leurs produits. Je trouve l’idée rafraichissante, ça donne espoir dans ce climat de morosité. »

#2 Du bio et des produits locaux dans les rayons ?

A l’heure du bio, du circuit court, du véganisme et de l’anti-gluten, La Louve va-t-elle (ou doit-elle seulement) proscrire certains produits ? Même si le supermarché dit vouloir proposer des produits frais, sains et locaux, la question est loin d’être simple. Alors que son modèle américain, le Park Slope Food Co-op, a par exemple boycotté le Coca-Cola, aucune décision dans ce sens pour l’instant à Paris. « C’est trop tôt, la priorité reste de préparer l’ouverture officielle, de faire tourner le magasin, explique Alban Ouahab. Il y a déjà des produits bio et locaux dans les rayons. Mais bannir certains produits, c’est moins urgent, et c’est entrer dans une autre logique. »

Pâtes, huile, lait… Des produits de base non-bio, et qui parfois viennent de loin, sont disponibles à La Louve. « On laisse le choix pour l’instant. Il y a le risque de retomber sur la question de la gentrification ici », lance Alban, sous-entendant qu’un catalogue exclusivement bio pourrait désavantager les plus pauvres.

Mais le choix pourrait évoluer à l’avenir : les décisions sont prises démocratiquement à La Louve, lors d’assemblées générales, tous les deux à trois mois. « Une personne égale une voix, explique Alban. N’importe qui peut contribuer aux sujets discutés, et les coopérateurs peuvent s’engager dans des groupes de travail. »

Dans le monde du bio et du circuit court, les autres supermarchés assurent ne pas voir comme un concurrent le nouvel acteur qu’est La Louve :
  • Du côté de La ruche qui dit oui !, une plateforme en ligne de vente directe, avec Florence Boyer (représentante du site) : « Les projets vont dans le même sens : les gens décident de reprendre la main sur leur façon de manger et de consommer. On voit l’initiative d’un très bonne œil, et on relaie même régulièrement l’actualité de La Louve auprès de notre communauté. »
  • Du côté de Biocoop, réseau de supermarchés bio basé en partie sur des coopératives, avec Laurence Canu (secrétaire administrative à Canal Bio, dans le 19ème) : « Toutes les initiatives sont bonnes à prendre, on ne cherche pas à avoir le monopole. Ce qui compte, c’est sortir de la grande distribution. Le problème, c’est quels types de produits on propose : éviter de transporter des produits sur des centaines de kilomètres par avion, ou de consommer des légumes ou des fruits hors saison… »
Si le supermarché participatif doit encore faire sa place dans le 18ème arrondissement et à Paris, La Louve fait déjà des petits : La Cagette à Montpellier, La Chouette Coop à Toulouse, La Scopeli à Nantes, L’Elefan à Grenoble, La SuperCoop à Bordeaux, ou encore Suoerquinqui à Lille…

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