Depuis plusieurs semaines, la France connaît une pénurie de pilules abortives. L'Île-de-France est particulièrement concernée par le problème, alors que plusieurs institutions comme les plannings familiaux se mobilisent pour alerter les pouvoirs publics.
"Si le retour à la normale ne se fait pas rapidement, les femmes n'auront plus de choix dans la méthode, il faudra procéder à une IVG par aspiration en milieu hospitalier". Pour Danielle-Simone Gaudry, gynécologue-obstétricienne au sein du planning familial du Val-de-Marne, l'inquiétude grandit à mesure que la pénurie de pilules abortives augmente.
Depuis plusieurs semaines, le centre de planification dans lequel elle travaille n'est plus fourni en misoprostol, l'une des deux pilules prescrites dans le cas d'un avortement médicamenteux. "Notre pharmacien nous a prévenus d'une rupture dans la production. Grâce à notre petite réserve, nous avons calculé que nous pouvions tenir jusqu'à la fin du mois d'avril", ajoute-t-elle.
Le planning familial du Val-de-Marne espère que les stocks se reconstituent bientôt pour ne pas vider ses dernières réserves. De son côté, l'Agence nationale de sécurité du médicament s'est voulue rassurante : "Ces tensions sont en voie d’être résolues avec la distribution de plusieurs dizaines de milliers de boîtes de Gymiso la semaine dernière et de Misoone à partir de cette semaine", pouvait-on lire dans un communiqué publié ce mardi.
Reportage dans les Yvelines d'Antoine Marguet et Méryl Loisel
L'hôpital en mesure de pallier le problème ?
L'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds), le premier a donné l'alerte sur cette pénurie, partage le même avis. Suite aux déclarations du ministre de la Santé sur RMC ce mercredi matin, l'Observatoire explique que "Le ministre de la santé François Braun a minimisé la réalité des pénuries de misoprostol, pilule nécessaire à l’IVG […] Le ministre a concédé des « tensions » sur le misoprostol. Mais ce terme, institutionnel, ne permet pas de décrire la réalité de la disponibilité d’un médicament sur un territoire donné, à un moment donné. […] Le ministre promet un retour à la normale rapide. Comment le croire alors que les mêmes promesses rassurantes qu’il avait faites à propos du paracétamol ou de l’amoxicilline se sont avérées fausses ?"
Pour Danielle-Simone Gaudry, si la pénurie de pilules abortives ne prend pas fin rapidement, la situation risque de se tendre : "Les professionnels de santé sont de plus en plus inquiets. Avec la pénurie de soignants que connaît actuellement l'hôpital, je ne pense pas que les centres hospitaliers soient en capacité de répondre à la demande d'IVG". Avec un tel scénario, les interventions seraient retardées, avec les conséquences que cela comporte : "Lorsqu'une femme souhaite interrompre sa grossesse, rester une ou deux semaines enceinte est quelque chose de très pénible psychologiquement et physiquement", explique-t-elle.
Un monopole américain
Quoi qu’il en soit, un problème de fond semble persister, celui du monopole de l'entreprise Nordic Pharma dont les capitaux sont majoritairement américains et qui possède le monopole en matière de production de pilules abortives.
Alors que plus de 70% des femmes ont recours à l'IVG médicamenteuse en France, cette hyperconcentration pharmaceutique fait craindre que la situation ne se reproduise de nouveau. La preuve pour Danielle-Simone Gaudry de "la fragilité de l'accès aux soins et à ce droit d'avorter qui est particulièrement soumis à des restrictions de moyens".
Et la situation ne risque pas de s'arranger. Le 7 avril dernier, le juge fédéral du Texas, ultra-conservateur et ouvertement anti-IVG, annonçait suspendre l'autorisation de mise sur le marché aux Etats-Unis de l'une des deux composantes de la pilule abortive, entraînant la saisine de la Cour suprême. Or, "la situation américaine fait planer la menace d’une pénurie liée à la constitution de stocks par les Etats américains qui cherchent à pallier un éventuel arrêt de la production et/ou de la commercialisation de la mifépristone et du misoprostol. Autre risque : une forte augmentation des prix, due aux possibles ruptures de production et d’approvisionnement", précise le HCE.
Pour Danielle-Simone Gaudry: "C'est une pression de plus de la part des anti-choix".