Dans le 19e arrondissement, des salariés sont sous la surveillance renforcée, voire escortés par des agents de sécurité sur leurs trajets quotidiens. Une mesure prise pour les rassurer face aux toxicomanes qui fréquentent le quartier Rosa Parks.
"Pour aller à la gare RER, on a un trajet qui est spécifique que l'on nous conseille de suivre". Comme tous les autres salariés de la banque BNP Paribas, Estelle et son collègue Eric (prénoms d'emprunt) qui font le trajet à pied matin et soir entre leur entreprise et la gare RER Rosa Parks "connaissent les endroits à éviter".
Leur employeur a d'ailleurs édité une carte géographique de ce territoire à la frontière d'Aubervilliers, précisant "les zones à risques", selon la terminologie employée par le ministère de la Justice.
Leur lieu de travail est situé dans le quartier Rosa Parks au sein du Parc d'activité du Millénaire, juste en face du vaste bâtiment occupé par des services centraux du ministère de la Justice, où travaillent des centaines d’agents. Eux aussi, sensibilisés à "ces zones à risques".
En sortant du travail pour aller à la gare, il faut d'abord "passer rapidement" devant l'entrée de la "Forêt linéaire Nord" une bande verte de 11 000 mètres carrés qui longe le périphérique - fermé aujourd'hui par une grille, mais que franchissent régulièrement des consommateurs de drogue. Prendre ensuite la passerelle Claude Bernard qui enjambe la voie routière.
Ne pas s'attarder à nouveau devant la "Forêt linéaire sud" de l'autre côté condamnée, elle aussi. "Éviter de passer par le square", prendre le boulevard Mac Donald pour terminer son trajet jusqu'à la gare RER, détaille Eric, salarié à la BNP.
Des agents de sécurité et un service d'escorte
"À chaque fois, je me fais des films, mais si quelqu'un m'attaque, il y a un agent de sécurité, donc il sera capable de me protéger", témoigne Estelle. De 7 heures 30 à 22 heures, sur les quelque 700 mètres qui séparent le quartier de la gare et le parc du Millénaire, des agents de sécurité, postés tous les cinquante mètres, tenue noire et talkie-walkie, se tiennent prêts à intervenir.
"Quand les toxicomanes viennent vers nous, ils interviennent assez rapidement (...) ils leur disent juste : laissez-les tranquille ! Décalez-vous !' Ils ne les interpellent pas. Ils s'assurent juste qu'on rentre en sécurité jusqu'à la gare", relate Yves, employé à la BNP Parisbas.
Cette surveillance particulière tout au long de ce trajet emprunté chaque jour par ces centaines de salariés, a été progressivement renforcée depuis quelques années comme l'explique le ministère de la Justice.
"Le ministère de la Justice et les autres entités du parc ont mis en place en 2019 et renforcé depuis fin 2023 la sécurité de leurs agents sur le parcours menant aux différents transports en commun (agents de sécurité sur des amplitudes horaires importantes, vidéo protection), en lien étroit et régulier avec la préfecture de police de Paris et notamment le commissariat de police, permettant une présence très régulière des forces de l’ordre dans le quartier."
La BNP Paribas est allée plus loin en organisant un service d'escorte, "pour prendre en parallèle toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de ses collaborateurs", explique-t-elle. Vers 17h 30 par exemple, des agents de sécurité viennent chercher des salariés au pied de leur entreprise pour les assister pendant leur trajet. Estelle n'a pas encore souhaité, dit-elle, bénéficier de "cette navette".
"Ça craint tôt le matin et tard pendant la nuit, pendant l'hiver. Quand c'est le soir par exemple, généralement, je pars avec quelqu'un mais après ça arrive que je parte toute seule. Je ne suis pas la plus vigilante des personnes. Mais par contre, je vérifie qu'il y a toujours des agents de sécurité sur le parcours", précise-t-elle.
Cette surveillance renforcée est insuffisante pour cet autre employé qui travaille comme agent de service très tôt le matin dans les locaux de l'établissement bancaire."Il n’y a pas de sécurité à 6 heures du matin. Alors qu'il y a des gens de service, des femmes de ménage, des personnels de cuisine qui traversent cette passerelle. S'il y avait au moins deux agents de sécurité le matin, ça serait bien", regrette-t-il.
"Un climat anxiogène"
Au bas de la passerelle, adossé à la grille qui ferme la "Forêt linéaire Nord", un vélo est posé là. Il facilite l'escalade du grillage. Devant un vigile impassible, des hommes et des femmes pénètrent régulièrement dans cet espace végétalisé à l'abri des regards pour leurs consommations de drogue.
"Ils ne sont pas méchants en soi. J'ai croisé des gens qui demandent des clopes comme toute personne dans le besoin, ils ne sont pas plus agressifs que ça. À part un ou deux... Mais on va être transparent, il y a toujours un individu qui peut devenir un peu plus agressif que les autres", témoigne Philippe, employé à la BNP.
Laurence habite et travaille dans le quartier. Elle traverse régulièrement la passerelle pour se rendre au centre commercial situé dans le parc du Millénaire. Cette riveraine déplore le "climat anxiogène" qui règne dans le secteur. "Ils sont un peu comme des zombies, mais après, c'est le problème de la drogue. Ils sont souvent sales, mais ils n’ont pas d'accès à des soins, à l'hygiène. Parfois, ils sont limite nus. Ça fait plus de la peine qu'autre chose", relate-t-elle, dépitée.
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