Taille des voiliers, course à l'armement, budgets en continuelle augmentation... Le skipper de Boulogne-Billancourt, Stéphane Le Diraison, s'interroge sur l'avenir de la course au large, alors que le premier voilier de la class 40, un bateau à "taille humaine", va franchir la ligne ce mercredi 23 novembre.
France 3 Paris-Île-de-France donne carte blanche à Stéphane Le Diraison, à l'occasion de la 12e édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Le marin qui navigue entre Les Hauts-de-Seine et la Bretagne, mais qui ne participe pas à la transatlantique cette année, nous fait partager son expérience de la course au large et son expertise sur les enjeux à venir.
En 1976, Alain Colas prenait le départ de la Transat Anglaise à bord du célèbre « Club Méditerranée », un quatre-mâts qui mesurait… 72 m ! Ce bateau aux dimensions fantasques était conçu dans le sillage de « Vendredi 13 », le 3-mâts de Jean-Yves Terlain engagé sur l’édition 1972 qui mesurait 39 m, longueur déjà tout à fait exceptionnelle pour un bateau mené en solitaire.
Jugé trop grand pour être manœuvré par un seul homme et potentiellement dangereux, il défrayait la chronique. Pour éviter cette démesure, en 1980, les Anglais limitaient la taille maximale des bateaux engagés sur cette course mythique à 56 pieds (17m).
La Route du Rhum, un seul interdit : le moteur
En 1978, Michel Etevenon, en réaction, créait la Route du Rhum, avec pour seul interdit… le moteur ! Coup médiatique ? Pied de nez à nos cousins britanniques ? Quoi qu’il en soit, jusqu’en 2010, les différentes éditions ont été remportées par des voiliers à la taille qu’on pourrait qualifier de « raisonnable » (par exemple en 1982 le bateau de Marc Pajot émargeait à 20m).
Pour la quatrième fois consécutive, la Route du Rhum est remportée par un trimaran géant. On peut saluer la magnifique performance de Charles Caudrelier à la barre de Gitana, épaulée par une équipe technique qui force l’admiration tant le bateau parait fiable et abouti. Ensemble ils ont relevé un défi incroyable, celui de faire voler un bateau à voiles de 32 mètres. Aujourd’hui la démesure n’est pas tant dans la taille des trimarans de la catégorie « Ultime » que dans leur incroyable technicité et de leurs performances hors normes à l’interface entre un voilier et un planeur.
Après la victoire d’Erwan Le Roux en Ocean 50, Thomas Ruyant a franchi en vainqueur la ligne d’arrivée dans la catégorie Imoca. Yoann Richomme, quant à lui, fait une course exceptionnelle en Class 40 et vient d'arriver le premier en Guadeloupe dans cette catégorie.
Des performances passées sous silence
Ces marins ont tous accompli des performances de très haut niveau qui ne sont pas assez mises en valeur, passant au second plan médiatique après l’ogre Gitana qui aurait presque eu le temps de rentrer à St Malo avant l’arrivée du premier Imoca.
En 2018, il n’y avait quasiment plus de journalistes sur place pour couvrir les arrivées des Imocas, des Oceans 50 et encore moins pour les Class 40, catégories pourtant passionnantes sur le plan sportif.
Un point commun pour tous les concurrents : la magie de l’arrivée ! En approche de l’île, lorsque l’on commence à entrevoir la côte, même si l'on a traversé de nombreuses fois l’Atlantique, l’émotion est intense. On perçoit les retrouvailles avec nos proches, l’équipe, les sponsors, le public, un bon repas, une douche rafraichissante, mais à la fois, il faut rester très concentré tant le contournement de l’île présente de nombreux pièges. Les zones de calme alternent avec les rafales et nécessitent d’incessantes manœuvres. Fatigué après une traversée, on n’a plus la même énergie qu’au départ, et c’est le mental qui permet de mobiliser les dernières ressources. Tant que l’on n’a pas franchi la ligne d’arrivée, la bataille fait rage et rien n’est jamais acquis.
En 2018, 7ème à quelques centaines de mètres de l’arrivée, je perdais une place à cause d’un souci mécanique dans la dernière manœuvre. Alan Roura ne me faisait pas de politesse ! Notre écart était seulement de 4 minutes après avoir parcouru plus de 3500 M (près de 6500 km). Et puis, il y a ce sentiment paradoxal : après plusieurs jours de mer, on est pleinement rentré dans le rythme du large. Cette course, souvent on la prépare depuis longtemps, on voudrait rester en mer, en profiter, continuer à surfer les vagues de l’Alizé.
Records versus performances sportives
Aujourd’hui, faut-il de nouveau se poser la question de la limitation de la taille des bateaux ? Ou de contenir les budgets par des restrictions (sur les foils par exemple) ? Ou encore faut-il accepter pleinement cette escalade budgétaire comme faisant partie intégrante de la compétition ? Les coûts augmentent fortement et parfois de manière inquiétante. En cause de nombreux paramètres : la technicité des bateaux, la technologie embarquée, l’envolée du prix des matières premières…
Personnellement, j’ai le sentiment que l’on pourrait continuer à laisser libres de toutes contraintes les bateaux engagés sur des records (Trophée Jules Verne, traversée de l’Atlantique…), et mieux contrôler les règlements de ceux engagés sur des courses, pour éviter des évolutions trop rapides. En Imoca, par exemple, autoriser les plans porteurs sur les safrans (des appendices sur le bateau, Ndlr) permettrait d’accroître considérablement la vitesse, mais rendrait obsolètes les bateaux qui n’en seraient pas équipés. Il en résulterait une nouvelle flambée des budgets pour rester performant.
Limiter la course à l’armement (équipements des voiliers, Ndlr) est sans doute une des clés pour préserver les grandes classiques dont la Route du Rhum constitue un évènement unique, un rendez-vous de passionnés, une communion avec le public.