Public, médias, météo... Que se passe-t-il dans la tête d'un navigateur en solitaire à quelques jours du départ (initialement ce dimanche, reporté à mercredi) de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe ? Stéphane Le Diraison, le skipper de Boulogne-Billancourt, qui a participé aux deux dernières éditions de la transatlantique, nous dévoile l'état d'esprit des marins.
France 3 Paris-Île-de-France donne carte blanche à Stéphane Le Diraison, à l'occasion de la 12e édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Le marin qui navigue entre Les Hauts-de-Seine et la Bretagne nous fera partager son expérience de la course au large, son expertise sur les enjeux à venir, et nous dévoilera l'envers du décor au travers de 3 articles publiés tout au long de la transatlantique.
En s’amarrant dans les bassins de Saint-Malo, les skippers peuvent savourer une première victoire : être au départ de la Route du Rhum ! Une transat légendaire qui a révélé tant de navigatrices et de navigateurs sur un parcours exigeant.
Dès l'arrivée à Saint-Malo, le compte à rebours est lancé.
Stéphane Le Diraison
Dès l'arrivée à Saint-Malo, le compte à rebours est lancé. Les compétiteurs.ices sont déjà en course. Les équipes techniques s’affairent sur les pontons tandis que le public, souvent passionné, toujours curieux, déambule, avide de lointains horizons et d’aventure humaine.
Une sollicitation tout azimut
Avant de s’élancer, les concurrent.e.s sont très sollicité.e.s : tout en se concentrant sur la course, en préparant la météo, supervisant la préparation technique, il faut se rendre disponible pour partager sa passion, répondre aux questions du public, des médias... Sans oublier, les sponsors pour qui l’avant course est fondamentale pour communiquer : les invités se succèdent sur le bateau désireux d’un échange avec le skipper, et curieux de découvrir les âpres conditions de vie à bord. Bien sûr, il ne faut pas oublier les amis, les proches qui viennent encourager leur favori.te., et la famille qui oscille entre un sentiment de fierté et d’inquiétude.
Il est rare que tout se passe exactement comme on l’avait prévu...
Stéphane Le Diraison
Le skipper doit aussi préserver sa condition physique et se ménager des instants de repos. Ces multiples paramètres sont difficiles à maîtriser et chacun développe sa stratégie. Certains s’isolent au maximum, tandis que d’autres multiplient les interviews ou les échanges avec le public et les invités. D’autres encore, pour se rassurer, ont besoin de suivre tous les détails de la préparation du bateau. Un point commun : il est rare que tout se passe exactement comme on l’avait prévu, souvent il faut gérer un aléa, une panne, une avarie détectée pendant le convoyage…
A Saint-Malo, pour me détendre, j’aime marcher sur la plage en regardant le large, à chaque fois, j’y croise quelques skippers, car même les plus illustres marins ont besoin de reprendre leur respiration.
A 24 heures du départ, même si la préparation est sans faille, inéluctablement la pression monte, d’autant plus lorsque les conditions de vent et de mer s’annoncent difficiles. Cette excitation est nécessaire pour mobiliser ses ressources et être concentré. Le skipper est désormais complètement immergé dans les fichiers météo, sa stratégie, les choix de voiles.
Il y aussi l’appréhension de la phase de départ, entre les concurrents, leurs équipes, les bateaux de l’organisation, ceux des sponsors et les plaisanciers, le plan d’eau est saturé et le risque de collision très élevé.
L’édition 2022 s’inscrit dans la tradition, avec des vents d’ouest toniques dès la sortie du port, des vents forts et une mer formée attendue en sortie de Manche. Avec de telles prévisions, nous sommes toujours préoccupés notamment par le risque de casse matérielle. Pour les marins les plus expérimentés, ces conditions sont parfois accueillies positivement, car elles sont très sélectives.
Chaque skipper à son histoire : quelques-uns participent pour la première fois à l’épreuve sportive et auront forcément plus d’appréhension. Pour eux, c’est l’accomplissement d’un rêve, un projet de vie même parfois. Il y a aussi les favoris qui portent une lourde pression et qui n'ont pas le droit à l’erreur.
La dernière nuit, les dernières heures peuvent être interminables, on n’aspire qu’à une seule chose larguer les amarres !
Stéphane Le Diraison
La veille du départ, nous sommes là physiquement, mais en vérité nous sommes déjà partis. La dernière nuit, les dernières heures peuvent être interminables, on n’aspire qu’à une seule chose larguer les amarres ! Nous basculons dans notre condition de marin solitaire, notre esprit est ailleurs. En 2018, sachant que nous allions affronter 3 dépressions générant des vents puissants et une mer hargneuse, j’avais eu beaucoup de mal à trouver le sommeil.
"5, 4, 3, 2, 1, Bon départ !"
Nous voilà enfin sur la ligne de départ, il est temps de débarquer l’équipe technique qui se jette littéralement à la mer (en combinaison de survie) : en quelques secondes, le skipper se retrouve seul à tout gérer, bateau lancé à pleine vitesse. Pas le temps pour les états d’âme, les autres bateaux sont au contact… Puis la direction de course lance le compte à rebours : 5, 4, 3, 2, 1, Bon départ !
En quelques secondes, le skipper se retrouve seul à tout gérer, bateau lancé à pleine vitesse
Stéphane Le Diraison
Le passage du Cap Fréhel, première marque de parcours, est une singularité : tandis que le marin solitaire est habitué à naviguer seul face à lui-même, nous voilà exceptionnellement dans un véritable stade nautique avec des milliers de personnes postées sur les rochers pour nous encourager.
Lors de ma première participation en 2014, en approche de la bouée à contourner, j’étais très impressionné et ému, au point que j’en avais presque oublié de manœuvrer ! (En 2014, Stéphane Le Diraison est arrivé 4e de sa catégorie Class 40 Ndlr)
Ensuite les derniers bateaux accompagnateurs feront demi-tour, les côtes disparaîtront après le passage de Ouessant. La première nuit est toujours particulière, et il nous faut souvent quelques jours pour être complètement en phase avec la mer et notre bateau. Cap sur la Guadeloupe !
Les prochains articles sur la Route du Rhum seront consacrés à la performance sportive de ces marins à l'occasion de l'arrivée des Ultimes, ces géants des mers, alors que la plupart des skippers sera encore en mer, puis à l'environnement. Stéphane Le Diraison nous dévoilera les enjeux environnementaux de la course au large.