Savoir ce que l'on mange en analysant les eaux usées ? Des chercheurs lancent une expérience à Paris

Une équipe de chercheurs veut encourager les habitants qui résident autour de la rue des Pyrénées (20e) à manger le plus de fruits et légumes possibles jusqu'au 18 mars. L'objectif est ensuite d'analyser les eaux usées et d'en tirer des informations sur leurs pratiques alimentaires.

"Mangez des fruits et légumes, c'est pour aider la science !", lance Nada Caud ce jeudi matin sur le marché de la place de la Réunion dans le 20e arrondissement. Cette responsable de la communication au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement tente de sensibiliser les riverains de ce quartier au "projet EGOUT".

"On demande aux habitants de ce quartier, du 11 au 18 mars, de manger beaucoup plus de fruits et légumes que d'habitude. Comme ça, on fait des mesures avant, pendant et après dans les eaux usées", explique-t-elle. 

Observatoire des égouts

Des relevés sont effectués les jeudis et lundis pour mesurer l'évolution semaine/week-end, et ce, depuis février.

"On va essayer de voir si on arrive enfin à être capable d'associer une molécule avec un produit qui correspond bien à un aliment qu'une personne aurait pu ingérer", détaille Catherine Carré, géographe et professeure à l'université Paris-1.

L'ambition de ces chercheurs serait, à terme, de monter un Observatoire des égouts. Car ce réseau, véritable intestin de Paris, permet de dégager de nombreuses informations.

"Peut-être qu'en fonction des quartiers, on voit certains types de maladies plus que d'autres. La Ville de Paris est très intéressée sur les questions environnementales, sociales, ainsi qu'autour des questions de santé", ajoute Catherine Carré, qui précise que "les résultats de l'expérimentation seront présentés aux habitants du quartier à la fin du mois de mai".

Mobiliser le maximum de personnes

Cette expérience, inédite, a demandé un an de travail. Une équipe d'une dizaine de chercheurs, de plusieurs domaines, est mobilisée. Il a fallu d'abord trouver un quartier dans Paris et obtenir l'accord de la mairie et du Siaap (le syndicat d'assainissement de l'eau). C'est le quartier qui longe la rue des Pyrénées, dans le 20e, qui a été choisi. Les chercheurs ont alors contacté une école de la rue pour sensibiliser des habitants :

"L'idée était qu'à travers les 150 enfants, on pouvait toucher les parents. Il a fallu être sûr que les enfants habitaient bien le quartier et que l'on puisse avoir une ligne d'égout qui correspondait à ces habitations. On a mis un préleveur en aval de la ligne d'égout", indique la géographe Catherine Carré.

Pourquoi ces chercheurs demandent aux habitants de manger plus de fruits et légumes ? D'abord, parce que c'était un message plus facile à faire passer que pour d'autres types d'aliments. Mais aussi parce que leur diversité pourrait permettre de les identifier facilement : "Ceci nécessite que la molécule soit stable dans les eaux usées. Par exemple, la phlorétine est un bon marqueur de la consommation de pommes (si elle est mesurée dans les urines directement), mais sa stabilité dans les eaux usées est très discutée", souligne Thomas Thiebault, maître de conférences à l'école Pratique des Hautes Études.

Une opération beaucoup plus compliquée lorsqu'il s'agit de protéines, donc de viande par exemple.

L'Île-de-France, laboratoire pour ces chercheurs

Depuis longtemps, les scientifiques s'intéressent à ce qui se trouve dans nos eaux usées. En 2020 par exemple, en pleine épidémie de Covid-19, des chercheurs avaient démontré qu'ils pouvaient prédire plusieurs semaines à l'avance des pics d'infection et l'efficacité des mesures prises pour lutter contre les différents variants du coronavirus.

L'Île-de-France, avec sa densité très importante, permet à ces indicateurs d'être très précis et, dans certains cas, exhaustifs.

Certains de ces scientifiques ont d'ailleurs, d'ores et déjà, un autre projet : "Le projet WAHOU, qui démarrerait en 2025 s'il est financé, a pour objectif de mobiliser les expertises croisées de plusieurs disciplines (virologie, sociologie, chimie, philosophie, politiste), pour outiller et guider les politiques publiques sur la base des métriques mesurées dans les eaux usées", espère Thomas Thiebault.

En 2021, une équipe de chercheurs avait mené une étude dans 75 villes européennes sur l'usage de drogues, en étudiant un indicateur qui ne trompe pas : les eaux usées. Elle avait démontré que sur les cinq substances analysées (cocaïne, amphétamine, méthamphétamine, MDMA/ecstasy et cannabis), la cocaïne et les méthamphétamines se sont largement répandues sur l'ensemble du continent.

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