Selon Etienne Saglio, il faut "qu’il y ait du réel pour qu’il y ait de la magie". L’artiste propose un spectacle immersif où les frontières entre réalité et illusion font tanguer nos repères. Le Bruit des Loups, un conte à réveiller l’enfant et ses peurs enfouies en nous pour mieux les apprivoiser.
Tout commence avec « Promenons-nous dans les bois » une version modifiée de la comptine, recomposée par la pianiste Madeleine Cazenave. Les premières notes, très reconnaissables, sont presque jouées timidement au piano ; mais rapidement la musique prend un tour inquiétant en mode mineur. Le ton est donné : apparaît alors un appartement aseptisé, avec au sol un carrelage de damier noir et blanc, et un ficus en pot, bien différent d’un vrai dans la nature.
La magie se renouvelle pour ré-enchanter la nature
Le jongleur et magicien Étienne Saglio définit lui-même son spectacle comme un conte initiatique plein de symboles et d’épreuves : « Un homme quitte un espace clos pour redevenir un enfant perdu dans la forêt. ». Là réside toute la force de ce spectacle conçu comme un voyage autant extérieur qu’intérieur : avec ce personnage d’enfant vêtu d’un pantalon rouge, Saglio nous plonge en lisière de forêt grâce à une bande sonore immersive et un décor impressionnant de grands arbres. « Cette forêt est double. Il y a la forêt de jour, et la forêt de nuit. Elle sent l’humidité et elle est habitée de sons. Ces sons qui racontent tout ce qu’on ne voit pas. Les animaux, les esprits et notre imaginaire qui se cachent derrière chaque arbre... » Alors tout devient possible : une hermine blanche sort d’un arbre creux ; dans les sous-bois, au loin, un renard furtif croise un cerf majestueux - et bien sûr on attend l’animal mythique, objet de peur et des fantasmes : le loup. A son tour, il surgit sur scène tout droit, en direction des spectateurs, comme en liberté. L’ambiance de conte de fées est complète avec la venue d’un géant mélancolique (Guillaume Delaunay), un être étrange aussi protecteur qu’inquiétant pour un enfant (Bastien Lambert), égaré au fond des bois. Celui-là même qui sommeille encore en nous, prompt à se réveiller quand le merveilleux est convoqué.
L’artiste confie dans la présentation de son spectacle : « J’ai passé beaucoup de temps dans mon enfance à me balader dans les bois, à y faire des cabanes et à guetter des animaux. La nature me semblait bienveillante et pleine d’émerveillement. En vieillissant, j’ai l’impression d’avoir perdu ce rapport à la nature qui semble plus hostile à ma présence. Je suis allergique aux graminées, à certains pollens… Je me méfie de la nature. Est-ce une forme de désillusion ? »
L’art de ce magicien est total.
Depuis 2007, Étienne Saglio est devenu une référence reconnue de la magie nouvelle, mouvement artistique apparu au début des années 2000 qui dope le spectacle vivant. Il développe et produit, au sein de sa compagnie, Monstre(s), des images qui le hantent. Avec une équipe très nombreuse, il devient tour à tour dompteur de fantômes ou créateur de cabaret magique. Son univers onirique transporte le spectateur aux frontières de la réalité.
Je fais toujours très attention à la désillusion puisque c'est quelque chose de définitif. On ne peut pas revenir en arrière
Chaque illusion, chaque transformation, chaque apparition plongent le spectateur dans un monde parallèle où on ne se pose plus la question des secrets de fabrication. Nous sommes pris dans un tourbillon de sensations entre rêve et réalité. En 2015, avec sa compagnie, il nous avait fait « rêver éveillés en plongeant les yeux écarquillés » avec le spectacle Les Limbes.
Le Bruit des Loups a été créé et interprété pour la première fois en 2019. Une fois la crise sanitaire passée, il réapparaît sous une forme XXL, sur la grande scène du Théâtre du Rond-Point. Inspiré par les transformations d’Alice au pays des merveilles et les Contes des frères Grimm, Le Bruit des Loups est un spectacle tout public, qui questionne la perception du réel comme il est expliqué dans un cahier du Réseau Canopée : « L’étrangeté fait basculer le spectateur dans un univers fantastique, une dimension parallèle…L’artiste nous offre un nouveau langage qui vient interroger nos obsessions les plus primaires à travers la forêt, l’obscurité et les sons qui l’enveloppent… Étienne Saglio incarne un adulte, vivant dans un monde aseptisé qui s’apprête à basculer. Ce personnage, de l’aveu même de l’auteur, n’est pas très défini afin que les spectateurs s’identifient pleinement à lui. Le personnage principal redevenu enfant vit avec insouciance près de la forêt. Il s’y aventure et découvre ses peurs et le merveilleux. (…) On ne sort jamais indemne d’une forêt, il s’y opère toujours un changement. »
Petit conseil : ne ratez pas, dès le début du spectacle, l’étrange pelure de goupil : une écharpe plate en fourrure de renard qui reprend vie sous la forme d’une marionnette filiforme. Comme le running gag cartoonesque de l’écureuil Scrat dans le film L’Age de glace, ce drôle de personnage futé devient le fil rouge salutaire pour faire retomber la tension avec ses parenthèses comiques.
Étienne Saglio conclut : « Le personnage – et sans doute moi ! – ressent le besoin de retrouver des odeurs, des saveurs, des bruissements. Il se sent devenir myope à force de faire la mise au point de son regard sur un écran à LED à 30 cm de son nez. Cette forêt ne l’avait pas quitté et se rappelle à lui. Elle est là. »
Ce spectacle est donc une formidable invitation à retrouver le chemin de la forêt, à nous promener dans les bois et si quand bien même les loup y seraient, alors - pourquoi pas ? - tendre l’oreille à leur bruit.
Le Bruit des Loups
Création et conception d'Etienne Saglio - Monstre(s)
Théâtre du Rond-Point, Paris 8e
Jusqu’au 20 novembre, à 20 h 30, le dimanche à 15 heures