Plusieurs journalistes ont eu des difficultés, voire ont été empêchés, d'exercer leur métier durant la manifestation mardi contre la proposition de loi "sécurité globale".
C’était il y a 139 ans. En 1881, la liberté de la presse et de l’information était officiellement reconnue et garantie par la loi en France. Se dirige-t-on cependant vers une (ou plusieurs) restrictions de cette liberté ?
C’est, en tout cas, l’un des grands débats tournant autour de la proposition de loi sur la "sécurité globale" – portée par le groupe LREM et Agir – et en particulier de son article 24. Celui-ci prévoit de pénaliser d'un an de prison et 45 000 euros d'amende la diffusion de "l'image du visage ou tout autre élément d'identification" d'un policier ou d'un gendarme en intervention, lorsque celle-ci a pour but de porter "atteinte à son intégrité physique ou psychique".
Mardi, des centaines de personnes s’étaient rassemblées devant l’Assemblée nationale – où la proposition de loi était débattue par les Parlementaires – afin de protester contre cet article. Elles avaient répondu à l’appel de syndicats de journalistes, de la Ligue des droits de l’homme, d'Amnesty International et d'autres organisations telles que Reporters sans frontières. Elles estimaient que ce texte revient, de fait, à interdire aux journalistes et aux citoyens de filmer les policiers en action et empêcherait, par exemple, de documenter les violences policières et porterait atteinte à la liberté d'informer.
Le rassemblement a, en fin de journée, dégénéré entre certains manifestants et les forces de l’ordre. Plusieurs personnes ont été interpellées. Parmi elles, un journaliste de France 3 Paris Île-de-France, qui filmait quelques-unes de ces personnes avec son téléphone, sa carte de presse dans l’autre main. Cela n’a pas suffi. Il a été placé en garde à vue pendant 12 heures – une première pour un journaliste de France Télévisions. Il a été relâché mercredi en début d’après-midi avec un rappel à la loi. Celui-ci pourrait toutefois être retiré selon le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, au micro de nos confrères de RTL lundi 23 novembre.
Le procureur a également affirmé qu'il réexaminerait la procédure afin de lever "l'ambiguïté" dans la journée avec ses équipes."On se trouvait dans une situation particulière, c'était une manifestation à laquelle participaient des journalistes. Toute l'ambiguïté était de savoir si l'intéressé était là en tant que manifestant ou en tant que journaliste. Il y avait une ambiguïté et il ne nous a pas aidé à la lever puisqu'il n'a pas répondu aux questions qu'on lui posait durant le temps de la garde à vue (...) Je suis prêt à retirer le rappel à la loi et à classer sans suit pour un autre fondement, en considérant que l'infraction n'est pas constituée".
Coups de matraque
Comme lui, ont eu des difficultés à exercer leur métier, y compris des journalistes habitués à couvrir ce genre d’événements."'Monsieur, soit vous restez là, je vous interpelle et vous allez en garde à vue ; soit vous partez, vous rentrez chez vous et dans ce cas tout se passera bien'. Jamais on ne m’a demandé de rentrer chez moi et d’arrêter de travailler au milieu d’une manifestation alors qu’il y avait des sommations et des tensions", explique Clément Lanot, journaliste indépendant présent mardi aux abords de l’Assemblée nationale, où il filmait la manifestation. "On sent une tension particulière depuis quelques semaines, notamment autour de cet article 24. Des policiers nous disent déjà qu’on n’a pas le droit de les filmer. C’est faux. Il y a une certaine crispation qui commence à devenir inquiétante", estime-t-il.
"J’étais en train de couvrir la manifestation de mardi. J’avais mon brassard orange 'presse' sur le bras. Un policier me tombe dessus alors que je ne gênais personne. Il tente de me pousser dans la nasse que les forces de l’ordre étaient en train de créer pour repousser les manifestants sur le boulevard Saint-Germain, raconte de son côté Simon Louvet, journaliste pour Actu Paris, interrogé par France 3 Paris IDF. J'ai résisté. Je me suis d'abord pris un coup ce mattraque dans le dos, puis un coup de bouclier. J’ai eu beau montrer ma carte de presse, en vain. J’ai réussi à m’extraire sans grand dommage (…) plusieurs autres journalistes ont été pris à partie pendant qu'il faisait leur travail", ajoute-t-il.
Chien de garde de la démocratie
Pour Laurent Guimier, directeur de l’Information de France Télévisions, l’interpellation d’un journaliste pour avoir fait son travail n’est en aucun cas acceptable. "Rien ne justifie qu’un journaliste, qui fait état de son statut et qui présente sa carte de presse, soit privé de son droit d’informer, de capter, de filmer, de parler ou d’écrire. C’est, dans une démocratie comme la France, totalement inadmissible et impossible", expliquait-il sur notre antenne."Un journaliste, clairement identifié comme tel, n’a pas à obéir à un ordre de dispersion. Il est un témoin dit ‘privilégié’. La Cour européenne des Droits de l’Homme dit que le journaliste est le ‘chien de garde de la démocratie’ ", précisait quant à lui Éric Morin, avocat spécialiste du droit de la presse, au micro de France 3 Paris IDF.
Garantir la liberté de la presse
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait créé la polémique hier en estimant que "les journalistes doivent se rapprocher des autorités" en amont des manifestations qu’ils veulent couvrir afin de pouvoir "faire (leur) travail" en étant "protégés par les forces de l’ordre". Il a ensuite rétropédalé en précisant qu’il ne s’agissait pas d’une "obligation".Aujourd'hui, l'entourage du ministre a fait savoir à l'AFP qu'il introduirait un amendement garantissant la liberté de la presse dans la proposition de loi "sécurité globale". Cet amendement, qui sera proposé lors d'une rencontre dans la soirée avec le patron des députés LREM Christophe Castaner autour du Premier ministre Jean Castex, viendra "préciser l'article 24", pour garantir que "la liberté de la presse n'est bien entendue en rien menacée".